Corruption en Chine : sexe, vidéos et chape de plomb
31 janvier 2013 à 20:16
RÉCIT Révélé par un site internet, un scandale dans le sud-ouest du pays met au jour les pratiques des responsables ripoux du Parti qui se protègent mutuellement.
Par PHILIPPE GRANGEREAU De notre correspondant à Pékin
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(Dessin Muzo)
Lei Zhengfu, secrétaire du Parti communiste chinois (PCC) d’un district de la ville de Chongqing (Sud-Ouest), âgé de 57 ans, ne s’est pas douté un instant que l’homme d’affaires qui l’invitait à dîner au restaurant en cette soirée de l’été 2007 lui tendait un piège subtil. Son hôte, responsable d’une entreprise du bâtiment en quête de contrats, lui avait quelque temps auparavant proposé un pot-de-vin s’il lui cédait les terrains municipaux qu’il convoitait. Lei Zhengfu, à son habitude, avait fait monter les enchères. Beaucoup trop au goût du promoteur, qui, dès lors, décida de changer de tactique. Celui-ci arriva au restaurant accompagné d’une jeune femme aguichante de 18 ans, qu’il présenta à Lei Zhengfu, avec un clin d’œil, comme une «employée de l’entreprise».
Gourmands. Au milieu du festin, il prétexta une urgence pour les laisser seuls, et le secrétaire du Parti et la fausse ingénue terminèrent, comme prévu, la soirée dans une chambre d’hôtel. Rompue à la manœuvre, la jeune femme disposa sur la table de chevet son sac à main équipé d’une caméra cachée, qui enregistra leurs laborieux ébats. Quelques jours plus tard, le promoteur fit son chantage auprès du secrétaire du Parti : la vidéo compromettante en échange des terrains convoités. Contre toute attente, le ripoux appela des policiers avec qui il était en cheville. Ils firent discrètement condamner le promoteur à six mois de prison. Une dizaine d’autres fonctionnaires corrompus, qui étaient tombés dans le même piège parce que trop gourmands, furent eux aussi blanchis en toute discrétion. Jamais la Commission centrale de la discipline du Parti, chargée de réprimer les cadres corrompus, ne fut mise au courant de ces petits arrangements entre amis.
«Pour les mandarins, assure un journaliste de Chongqing, l’accès aux prébendes est considéré comme un dû, une sorte de droit de cuissage.»Cette affaire singulière met le doigt sur les connivences qui existent au sein d’une bureaucratie où les corrompus se protègent mutuellement. Elle relativise considérablement la portée de la «vaste campagne anticorruption» menée tambour battant depuis novembre par le nouveau numéro 1 du PCC, Xi Jinping.
Comme les campagnes précédentes, celle-ci vise à apaiser une population exaspérée par l’opulence suspecte des hauts fonctionnaires, sans toutefois aller jusqu’à mettre en cause la nature même du système. De ce point de vue, l’affaire Lei Zhengfu n’aurait jamais dû être dévoilée. Si elle est sortie, c’est grâce à Zhu Ruifeng, un homme de 43 ans qui n’a peur de rien. «J’éprouve, dit-il, un malin plaisir lorsqu’un officiel du Parti vient me menacer, ou bien cherche à m’intimider parce que j’ai rendu public ses malversations. Il m’est arrivé d’être tabassé, et même kidnappé…»
Zhu est le fondateur, directeur et unique régisseur du site internetRenmin jiandu wang («réseau de contrôle populaire»), dédié à un seul objectif : épingler les ripoux. En six ans, il a fait limoger une centaine de corrompus. C’est début novembre que Zhu a mis en ligne des photos de la vidéo grivoise de Lei Zhengfu. Elles ont été vues par des millions d’internautes scandalisés. Trois jours plus tard, sous la pression de lavox populi, les autorités ont démis Lei de ses fonctions.
Bien qu’habitant à Pékin, Zhu Ruifeng a pris la précaution de baser son site à Hongkong, où la liberté de la presse est préservée, afin de parer aux tentatives officielles de faire fermer son site de mouchardage vertueux. Au moins quatre autres sites anticorruption, établis sur le même modèle de la «dénonciation citoyenne» mais imprudemment basés en Chine continentale, ont été censurés depuis 2010. Le Parti préfère laver son linge sale en famille.
A l’instar de WikiLeaks, Zhu Ruifeng s’appuie sur un réseau secret d’informateurs, parfois des membres de la police, à qui il garantit l’anonymat. Consciencieux, le justicier ne publie ces affaires qu’après avoir vérifié leur authenticité. Il a lui-même appelé Lei Zhengfu. Dans la conversation téléphonique - qu’il a mise en ligne -, le secrétaire du Parti l’appelle «grand frère» et lui propose un «arrangement». Zhu Ruifeng a dernièrement fait savoir qu’il disposait de cinq vidéos du même genre montrant d’autres hauts responsables en situation compromettante. Tous les cinq sont toujours en fonction, alors même que les autorités disposent de preuves contre eux, souligne Zhu en menaçant de les diffuser.
Paniqué. Ce dernier pied de nez aux autorités, implicitement dépeintes comme incapables ou complices, a déplu. Dimanche, cinq policiers en civil de Chongqing sont venus frapper à sa porte, chez lui à Pékin. Il a refusé d’ouvrir. «Ils veulent me kidnapper et m’emmener là-bas»,écrivait-il, paniqué, sur son compte Twitter, tandis que les policiers martelaient trois heures durant sur sa porte, qui a tenu bon. Quatre avocats alertés par Zhu Ruifeng sont arrivés sur les lieux pour négocier. Des pourparlers se sont tenus dans un commissariat, en présence des défenseurs. Les policiers ont exigé de Zhu qu’il révèle ses sources, et livre ses vidéos. Il a refusé. Il a depuis appris qu’une de ses sources avait été arrêtée. Son tour ne saurait tarder.
Dessin Muzo
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