Super sujet, un des meilleurs de BJC. Chaque post se lit comme une petite tranche de vie. Merci
Comment votre famille vit votre décision de vivre en Chine?
Assez mal, même si ils ont eu l'élégance de ne jamais trop se plaindre. Mes parents approchent des 80 ans, et il leur est assez difficile de faire le voyage jusqu'ici. Je sais qu'ils ont vécu mon départ comme un petit déchirement, surtout le fait de voir partir au loin leurs 2 petits enfants. Se rajoute à cela que j'ai mis mon job entre parenthèses pour suivre ma femme, ce qui les a, je le sais, un peu inquiétés.
Combien de fois par an revenez vous, a quelle période?
En général, 2 fois par an (partagé entre la France et la Suède (belle-famille) ).
Quelles sont les sacrifices les plus difficiles selon vous, et quelle est votre philosophie afin de faire passer la pilule un peu plus facilement?
Beaucoup de sacrifices en ce qui me concerne. Celui de mon boulot, ou plutôt de la discipline que le boulot implique, de la structure que le boulot donne à ma vie (je le dis maladroitement). L'éloignement de tous mes amis proches, des gens à qui je peux vraiment me confier, le sacrifice d'un "vrai" cercle social. Le sacrifice d'une vie "normale", de la sociabilité et du "buzz" qui va avec, par opposition à l'artificialité un peu Disneyland que peut être la vie dans la bulle d'expat où je réside. L'éloignement de l'environnement "européen" dans lequel je me sens à l'aise: c'est en m'éloignant autant que j'ai réalisé à quel point je me sentais foncièrement européen (non pas Français, mais Européen). Le sentiment d'aliénation qui découle de ne rien comprendre à la langue de mon pays d'accueil. Le sentiment amer d'être passé complètement "à côté" de la Chine: je suis arrivé ici en ne connaissant rien à ce pays, et je vais repartir en ne connaissant presque rien. Sentiment d'amertume renforcé par le fait que je n'ai, pour l'essentiel, qu'à m'en prendre à moi même pour avoir à tel point "raté" mon expatriation.
Au vu des qqes lignes qui précèdent, il va de soi que je n'ai, hélas, pas trouvé de philosophie pour faire "passer la pilule".
Envisagez vous de laisser tomber et de revenir en France?
C'est fait: sur mon insistance, nous allons écourter notre expatriation d'un an et allons rentrer en France cet été...
Comment votre famille vit votre décision de vivre en Chine?
Dans mon cas, la Chine fut ma seconde expatriation puisque je suis parti en Bolivie juste après mon diplôme de designer en 2007, je voulais y rester un mois le temps de souffler avant d'aller quémander du boulot en France, j'en avais plein le derche de la mentalité franchouille.
Non seulement je suis pas rentré mais je me suis marié et y suis resté quatre ans...
Notre décision de partir en Chine avec femme et gamine en 2010 a finalement été mieux acceptée, parce qu'un vol Shanghai-Paris reste bien moins long, compliqué et coûteux qu'un La Paz-Paris... On prévoyait d'y rester deux ou trois ans, on en est à 5 ans ;-)
Ma mère pensait surtout que la Chine était une terre d’opportunités face à une France bien trop statique sur le plan boulot. Encore aujourd'hui et bien qu'elle souffre de l'éloignement, elle nous conseille de rester en Chine... Le bon point c'est qu'elle bosse toujours et que mon jeune frère vit encore chez elle, mes deux grands-mères sont encore vaillantes avec leurs 90 printemps (les grands-pères ont passés l'arme à gauche il y a un bail) et pour le moment pas de gros soucis de santé chez mes nombreux oncles et tantes.
Niveau famille, les rares retrouvailles sont toujours chaleureuses et il est difficile de repartir, mais je les vois vieillir tous autant qu'ils sont, mes petits cousins grandissent sans que je m'en rende compte, c'est à peine si j'en reconnais certains et nous n'avons que des relations épisodiques et superficielles. C'est très frustrant quand je les vois.
Ma famille souffre surtout de ne pas voir ma fille, qui grandit sans vraiment connaitre sa famille Française, c'est une vraie torture pour ma mère et un casse-tête pour moi car non une webcam ou Wechat ne compense rien, et certainement pas des liens familiaux qui se sont distendus avec le temps et la distance.
Combien de fois par an revenez vous, a quelle période?
Depuis 2010, je suis revenu deux fois, une fois pour Noël, une fois l’été. Ma femme a pu partir deux mois en Bolivie l'an dernier avec ma fille (j'avais du boulot, je suis resté en Chine. Ma mère a pu venir l'an dernier avec mon frangin, un miracle vu que le p'tit frère est un vrai geek allergique à tout ce qui l'éloigne de son écran. Il a kiffé les Chinoises ;-)
Quels sont les sacrifices les plus difficiles selon vous, et quelle est votre philosophie afin de faire passer la pilule un peu plus facilement?
Les sacrifices sont mineurs en réalité, ils concernent la bouffe, la vie culturelle (sur Shanghai je veux bien croire qu'il y ait de quoi sortir le week-end mais sur Yiwu, tu fais vite le tour...)... J'ai jamais cherché à me rapprocher des Français ou des expats en général, ce sont souvent des relations superficielles, les vrais amis sont restés au pays. De fait on a un cercle d'amis (cf: sur qui on peut compter) restreint, constitué à 50/50 de foreigners et de Chinois.
Pour le reste on peut avec quelques efforts trouver des substituts, la Chine est suffisamment grande pour cela.
Nos plus gros soucis sont pour l'éducation de notre fille qui grandit, et l'absence de la famille proche qui se ressent de plus en plus.
Ma femme a perdu sa grand-mère cette année et il nous était impossible de partir en Bolivie pour assister à l'enterrement, ce fut très dur pour elle.
Plus globalement je suis devenu très nostalgique de la France et de l'Europe. Lors de mon dernier voyage (professionnel) en France il y a deux ans, je me souviens que mon boss nous avait pris des chambres dans un hôtel (oublié le nom...) en face de la Madeleine à Paris. Le matin tôt, je me suis levé, suis allé sur le trottoir devant la porte et je regardais la Madeleine, les rues alentours, Fauchon, les quelques voitures et les passants, le silence paisible et le soleil qui pointait derrière. A ce moment précis, j'avais la truffe et l’œil un peu humide et je pardonnais tout ce qui m'avait poussé à me tirer d'ici il y a de cela huit ans. Bien sur c'était un Paris de carte postale, une caricature, mais putain je me suis senti si bien.
Envisagez vous de laisser tomber et de revenir en France?
On rentre cet été, ma femme est enceinte, pas d'école convenable sur Yiwu pour ma fille l'an prochain, dépenses importantes, revenus en baisse, pas de plan à long terme, envie de changer d'air. On laisse pas tomber, on savait que ce serait pas définitif, on pensait même qu'on partirait bien avant ;-)
Pas de boulot sur place encore, ni logement, on s'occupe de tout cela en ce moment.
On se donne six mois pour voir si on se fait à la France, sinon on repartira en Bolivie, ou en Chine, mais ce sera à contre-coeur.
On regrette pas nos 5 ans de Chine du tout, mais on sent qu'il est temps de se stabiliser quelque part et on imagine cela plus facilement en France, on verra bien.
Note que je me retrouve beaucoup dans les commentaires de MHD (merci pour ce topic) et de Phitheb.