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Pourquoi les Français massacrent-ils l’anglais ?
Par Marine Deffrennes
Il n’empêche, les Frenchies arrivent loin derrière les décidément parfaits pays scandinaves, se positionnant laborieusement au coude à coude avec la Biélorussie et la Lettonie. Près de 65% des étudiants à Bac +2 n’ont pas le niveau requis en fin de terminale, et chez les salariés actifs, ils ne sont que 28% en moyenne à avoir le bagou suffisant pour maîtriser des lectures et conversations en anglais au sein de leur entreprise*.
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Source : ETS GLobal, observatoire Toeic 2009.
Le blocage francophone
Souvent accusée, la loi Toubon relative à l’emploi de la langue française de 1994, semble avoir contribué à éloigner un petit peu plus les Français de la langue anglaise. « Lorsqu’il a fallu remplacer la banderole « Les Rolling Stones en visite au Virgin Mega Store » par « les pierres qui roulent sur les Champs-Elysées » on a franchi un cap ! », se souvient Natanaël Wright, président fondateur de Wall Street Institute France.
Gail Ellis responsable du centre de langues du
British Council à Paris, constate aussi des portes fermées inutilement à l’anglais dans notre quotidien : « Je trouve dommage qu’en France, lorsqu’un anglophone est interviewé à la télévision, on le traduise systématiquement avec un interprète. Dans les autres pays ce sont des sous-titres, qui permettent d’entendre la langue et de se faire l’oreille. »
Le lobby de la francophonie serait-il allé trop loin dans la défense et l’illustration de la langue de Molière ? Au point de priver les futurs citoyens du monde d’un apprentissage de l’anglais digne de ce nom ?
1h30 d’oral par an pour nos lycéens
© Ciaran Griffin/Getty images
Manque de matériel, manque d’heures, classes trop chargées : de nombreuses causes peuvent être imputées à notre piètre niveau d’anglais. Après dix ans de cours réguliers du
collège à la terminale, nous sommes à peine capables de tenir une conversation. En cause surtout
la faiblesse de l’entraînement oral : « Les élèves et même les profs n’ont pas assez confiance en eux, et redoutent l’accent anglais, résultat : ils ne parlent pas. », explique Gail Ellis du
British Council à Paris. A raison de trois heures d’anglais par semaine, dans une classe d’au minimum 25 élèves, le lycéen moyen qui n’est pas dans les têtes de classe parlera anglais 2 minutes par semaine, soit 1h30 sur l’année...
Jérémy
, professeur d’anglais dans le privé et en université confirme : « La méthode de l’Education nationale est
centrée sur la grammaire et la littérature. Le programme place la barre trop haut, avant de comprendre Shakespeare, il faut déjà savoir communiquer,
se présenter ou parler au téléphone. » Lise Sagare enseigne en université, les étudiants qu’elle voit arriver ont selon elle un gros handicap au niveau de l’oral : « Ils ont appris un anglais qui n’est pas naturel, et qui
ne leur permet pas de se débrouiller dans toutes les situations. » Ces enseignants militent pour que les collèges et lycées accueillent davantage de professeurs anglophones, tandis que les listes d’attente pour les écoles bilingues s’allongent.
Et pourtant des solutions existent…
© Ciaran Griffin/Getty images
Pour Jean-Michel Dubedout qui a inventé le cours d’anglais par téléphone, le nombre d’heures n’est pas un critère : « il faut des méthodes qui ont fait leurs preuves.
Dans les pays scandinaves, certaines matières sont enseignées en anglais dès le primaire. C’est le principe des quelques écoles bilingues qui existent en France, mais l’Education Nationale considère que cette formule est hors-programme. »
Responsable du Centre de langues au
British Council de Paris, Gail Ellis estime qu’on peut parier sur une élévation du niveau chez les
Lien retiré des
jeux vidéos ou des séries non sous-titrées : « Ce n’est pas un apprentissage structuré mais une acculturation efficace qui les rendra plus sensibles à la langue », observe Romain Gil, blogueur observateur des nouvelles méthodes d’apprentissage sur
internet. Après avoir regardé
Dexter en V.O, on peut aussi apprendre l’anglais en karaoké, en chantant les Beatles ou les Stones sur
lyricstraining.com.
Adopter une culture de l’évaluation
Pour Alain Daumas, président de la branche française d’ETS Global – société qui gère le
Toeicet le
Toefl- ce sont les écoles qui ont adopté une culture de l’évaluation qui progressent : « Le test permet de détecter les lacunes et de ne pas laisser des élèves sur le bord du chemin, comme c’est le cas en France, où à Bac +2, plus de 20% des étudiants ont un niveau de collégien en anglais ! »
Deux batteries de tests existent pour confronter son niveau d’anglais aux critères européens du CERCL : les fameux Toeic et Toefl, l’un répondant aux besoins du marché du travail, l’autre plutôt destiné aux étudiants, et le IELTS, choisi par Sciences-Po pour sanctionner le niveau de ses élèves (il est obligatoire avant un départ à l’étranger). « Depuis 2000, il y a eu une réelle prise de conscience dans les grandes écoles, le niveau des étudiants ne cesse d’augmenter.
L’université, au contraire affiche un net retard, avec une progression quasi nulle », observe Alain Daumas.
Plus de tests, des films en V.O. et des cours bilingues : des mesures indispensables quand on sait que le travail d'un salarié sur quatre en France implique de parler ou d'écrire dans une langue étrangère.
Les besoins de l’entreprise
© Ciaran Griffin/Getty images
Les fournisseurs de cours en ligne ou par téléphone l’ont bien compris, l’avenir de nombreuses sociétés se joue sur leur capacité à être présentes sur la scène internationale, la
Lien retiré des salariés est devenue une priorité : les entreprises apportent à
Telelangue80% de son chiffres d’affaires, 60% chez
Lien retiré, qui vient tout juste de sortir son offre « Pro » adaptée aux salariés.
Injustice générationnelle
Les actifs âgés de 50 ans qui ont passé le Toeic en 2009 ont obtenu une moyenne de 640 sur 945, les actifs de 30 ans s’en sortent avec 720 de moyenne. « Le plus frappant en entreprise,
c’est le décrochage des 45 ans et plus qui ont été formés avant la mondialisation. La nouvelle génération s’en sort plutôt bien, elle a profité des programmes Erasmus et de l’internationalisation des formations » explique Alain Daumas, président d’ETS Global –Educational Testing Service- France. Un décalage entre les générations qui n’est pas sans poser des problèmes internes.
L’anglais : un enjeu national ?
La
délégation générale à la langue française et aux langues de France –dglf- pointe dans une étude le malaise de certains actifs : « 32 % des salariés* sont amenés à lire des documents rédigés dans une langue étrangère. Parmi eux, 22 % déclarent que cela gène le bon déroulement de leur travail, soit 7 % des salariés des
entreprises de 20 salariés et plus. »
Un
effort dans le domaine des Ressources Humaines semble nécessaire pour exiger des candidats un niveau certain : « Aujourd’hui 80% des entretiens sanctionnent l’anglais par un entretien de 10 minutes, c’est insuffisant et même injuste », estime Alain Daumas.
Selon ce dernier, l’apprentissage de l’anglais doit devenir un enjeu national : « Toutes les méthodes marchent, c’est la motivation qui fait défaut en France. La compétitivité des entreprises en dépend : quand une multinationale veut s’implanter en France elle peine à trouver des employés bilingues ; et
pour saisir la finesse d’une négociation mieux vaut entendre autre chose que des chiffres… »
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Selon étude 2007 de la DGLF : Le Français, une langue pour l’entreprise.