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Platax
Guest
A part l'économie, les pays occidentaux veulent-ils d'un 'modèle chinois' ?
Non.
Perso ce qui me fait peur, c'est la normalisation de la por
Une question un peu ouverte : fait-on une différence entre soft power et propagande ?
Je crois que c'est le point sur lequel tout le monde n'est pas d'accord depuis l'ouverture de ce sujet.
Personnellement je crois que c'est fondamentalement différent. Le pouvoir doux (c'est mignon dit comme ça, non ? ) est passif. Ça passe effectivement par un peu de publicité, qui est, elle, un peu active, mais pas forcément. De plus le soft power n'est pas un acte purement politique ; les acteurs majeurs du soft power sont souvent des entreprises, des artistes,etc. Mais rarement le gouvernement en place qui va s'imposer dans un pays étranger pour faire la promotion d'un patrimoine culturel (j'imagine bien Hollande en train d'essayer de vendre du saucisson plutôt que des rafales. Ça aurait de la gueule).
À l'inverse la propagande est un acte politique actif. Même si les chinois sont désormais bien endoctrinés, ce ne sont pas des individues ou des entreprises qui vont activement aller convaincre les américains que le Tibet est rentré dans son âge d'or grâce aux joies du communisme. Genre quand les chinois font un caca nerveux à chaque fois que Taiwan est indiqué comme un "pays" dans une quelconque conférence, c'est très politique et proactif. De plus la propagande se base sur la répétition ininterrompue d'idée (fausses ou non) jusqu'à ce que tout le monde en soit convaincu. Il suffit de le répéter suffisamment longtemps, le parti perdant est celui qui abandonne le premier, ou qui n'arrive plus à se faire entendre, d'où l'intérêt du rapport de reporter sans frontière ! Qu'elle se voie ou non, là n'est pas la question, regarde certains sujet sensibles en Chine, tout le monde a oublié. C'est juste une question de temps et de persistance.
Après l'influence des médias dépend de leu position dans la société, s'ils sont à la botte du pouvoir ou non. En Chine, clairement oui, c'est de la propagande (un peu plus subtile). En France la question est ouverte, personnellement j'opterais pour une position intermédiaire
@Platax: je ne suis pas du tout d'accord pour ta phrase (le reste est assez juste cependant). La Chine a perdu en ce qui concerne la partie soft power, mais pas du tout en ce qui concerne la partie propagande. De ce côté là elle est en train de gagner haut la main.
Après ce qui m'inquiète énormément c'est la normalisation de ce genre de comportement: c'est chez moi, tu n'as pas ton mot à dire et tu devrais me croire sur parole. Typiquement, ça ouvre la porte à tout genre d'excès. Si une grande puissance comme la Chine la joue comme ça peut-être qu'au fond on devrait avoir un peu plus confiance en ce bon président syrien... Après tout c'est chez eux, ils doit sans doute mieux savoir.
Tes définitions du soft power et de la propagande n'engagent que toi. Idem pour ta distinction entre actif/passif et politique/non politique. Je pense qu'il faudrait déjà commencer par se mettre d'accord par ce qu'on entend par propagande, en laissant parler les spécialistes du sujet. Voici des extraits choisis d'un de mes cours de M2 consacré à la pensée de Jacques Ellul :
Voici ce que dit J. Ellul de la propagande :«la propagande est bien moins une arme politique d'un régime que l'effet d'une société technicienne qui englobe tout de l'homme et qui tend à être une société tout à fait intégrée». Et il la définit comme «l'ensemble des méthodes utilisées par un pouvoir politique ou religieux en vue d'obtenir des effets idéologiques ou psychologiques».
Bernays définit la propagande comme «l'ensemble des méthodes utilisées par un groupe organisé, en vue de faire participer activement ou passivement à son action une masse d'individus psychologiquement unifiés par des manipulations psychologiques et encadrés dans une organisation». L'essentiel aujourd'hui selon Bernays n'est pas d'obtenir une orthodoxie mais une orthopraxis. Ce travail va passer par un processus d'unification psychologique dans les sociétés modernes. L'individu ne peut être atteint par la propagande qu'au sein de la masse. La propagande va intégrer cet individu à une certaine vue collective et va lui faire partager un langage commun.
La place des conseillers en communication, si on pense que la propagande est enterrée avec Staline, Hitler et Mussolini, n'aurait pas un tel poids aujourd'hui.
Ellul distingue les caractères et les catégories de la propagande:
- Caractères externes: la propagande s'adresse à la fois aux individus et à la masse, elle suppose la conjonction de tous les moyens et elle doit être permanente et orchestrée.
- Caractères internes: la propagande est de plus en plus scientifique, autrement dit elle ne crée rien ex nihilo mais elle vise à renforcer des tendances préexistantes. Elle est nécessairement conformiste car elle repose sur des présupposés sociologiques et sur des mythes sociaux. Un autre caractère c'est la véracité, Ellul nous dit que depuis 1945 les spécialistes ont admis qu'en matière de propagande la vérité paie. A partir de faits exacts on va donner des interprétations spécieuses, ou encore on associe des faits qui n'ont aucuns liens entre eux (technique du barbouillage).
- Propagande politique et propagande sociologique : La première est celle des leaders et des partis politiques. La propagande sociologique est moins visible et se rapproche de ce qu'on connaît généralement sous le terme de socialisation. Parfois les deux se combinent, dès lors que la propagande sociologique va être organisée. Car selon Ellul elle est spontanée dans la majorité des cas. Il trouve un exemple de combinaison aux EU dans la période stalinienne. Durant cette période, il y avait une propagande visant à démontrer la supériorité de l'american way of life sur le modèle communiste, qui passait par des agitateurs.
- Propagande d'agitation et propagande d'intégration : La première est la plus massive et la plus visible. Indispensable en temps de guerre et lors des périodes révolutionnaires, pour désigner un ennemi et en justifier la haine. Elle peut déboucher sur un renversement de régime. La propagande d'intégration va être quant à elle une propagande de conformisation. Il faut intégrer à la masse, à la nation, au sein du parti. Pour qu'elle soit efficace, il faut selon Ellul qu'il y ait unanimité. Cette propagande s'adresse aux citoyens les plus cultivés et les plus informés. Son raisonnement c'est de dire que finalement les intellectuels sont les premiers visés par la propagande. Pour lui plus on a de chaînes plus on est sensible à la manipulation. Les intellectuels sont les premiers visés par la propagande et leur besoin de certitude va justement les conduire d'un totalitarisme à l'autre, en fonction des changements d'orthodoxie. C'est l'exemple des intellectuels-girouettes, qui passent du pro-soviétisme au maoïsme puis à l’adoration pour le régime guévariste et castriste.
- Troisième série d'oppositions, celle entre propagande verticale et propagande horizontale. La propagande verticale c'est celle qu'on connaît classiquement. C'est celle du chef de parti, du chef de gouvernement. Elle repose sur les caractéristiques personnelles, le charisme du chef et sa capacité maîtriser les outils techniques. La propagande horizontale est plus rigoureuse, plus «scientifique» et s'effectue à l'intérieur de groupes qui n'ont pas de leaders apparents. Ce sont par exemple des opérations de noyautage à l'intérieur des partis et des syndicats. Ce fut notamment dans le cadre de la révolution chinoise, avec le rôle du mouchard qui va
apporter un discours orienté et rapporter ce qui a été dit. Le propagandiste n'apparaît pas comme rattaché à un organisme officiel, il est intégré dans le groupe. Dans le cadre des présidentielles de 2007, il y a eu un appel de militants pour qu'ils opèrent cette propagande horizontale. Sarkozy a appelé ses sympathisants à aller porter la bonne parole: «Je compte sur vous pour être les portes-parole de vos convictions. Je compte sur vous pour aller au-devant de nos concitoyens avec le désir de convaincre». Ce discours va s'effectuer dans le cadre d'un rapport d'égalité et non pas dans le cadre d'un discours envoyé depuis le sommet, qui pourrait susciter la méfiance. Cette propagande horizontale est extrêmement importante.
Autres éléments notables :
- La propagande existe en fonction d'une opinion publique, mais cette opinion n'existe qu'à travers les problèmes qu'on lui pose.
- La propagande suppose l'existence de moyens de communication de masse et la polarisation sur des centres d'intérêts identiques.
- La propagande nécessite la présence d'idéologies. Ellul précise qu'une même idéologie peut donner lieu à des propagandes contradictoires. Elle est en outre nécessaire, à la fois pour le pouvoir et pour l'individu. Elle répond tout d'abord à un besoin de participation politique, dans la mesure où la politique n'est plus uniquement l'affaire des princes. On va avoir dès lors besoin de contrôler l'opinion publique, versatile par nature. Donc, l'objectif du gouvernement c'est de prendre le contrôle de cette opinion publique. C'est particulièrement vrai en démocratie, où les gouvernants sont tenus d'informer les gouvernés. Les gouvernants considèrent que l'idéal c'est de disposer de l'appui des masses a priori. Donc, il s'agit de les propagander à l'avance.
Voilà, j'espère que ça ne vous aura pas trop gonflé, car je trouve pour ma part les travaux d'Ellul passionnants.
PS: Pitié, arrêtez les "tu quoque" à tout va, c'est un peu exaspérant à longue. Sur chaque sujet, il y a toujours un post "oui, mais le grand méchant occident il ne fait pas mieux". On devrait créer le point Western Devil (un peu comme le point godwin)...
J'espère que la lecture de ces quelques lignes t'aura fait réaliser l'absurdité de cette remarque.