Reflexions & ruptures sociologiques de notre epoque ...

28 decembre 2024
Duree 1:33:07
Synopsis : Ce documentaire retrace l'itinéraire intellectuel de l'auteur de Tristes Tropiques et de La pensée sauvage, anthropologue et fondateur de l'anthropologie structurale en France, à travers des morceaux choisis de nombreux entretiens filmés accordés par Claude Lévi-Strauss depuis les années 60. Une initiation passionnante à la pensée d'un homme curieux de tous les hommes, toujours confiant (malgré son pessimisme sur le monde actuel) dans les capacités créatrices de l'esprit humain.Ce documentaire a été réalisé à des fins pédagogiques et peut contenir des images qui peuvent heurter la sensibilité de certaines personnes. Si vous êtes une personne sensible, le visionnage de ce documentaire vous est déconseillé.


 

La démocratie face à la fatigue de l’information par Antoine de Tarlé Ancien président d’Ouest France Multimedia et ancien enseignant de l’Ecole de journalisme de Sciences Po

14 janvier 2025

En 2022, deux chercheurs de la fondation Jean Jaurès, Guénaèle Gault et David Medioni, ont mené une étude sur un phénomène récent mais de plus en plus préoccupant :

Analyse : la fatigue et donc le retrait des usagers qui ne parviennent plus à maîtriser un afflux croissant et désordonné de nouvelles. Ils constatèrent que 53% des Français souffraient de fatigue informationnelle dont 38% de manière intense. Une nouvelle enquête menée en 2024 a fourni des résultats comparables puisque 54% des personnes interrogées ont fait état de cette fatigue.

Ce constat ne se limite pas à la France. Comme le montre l’enquête annuelle de l’institut Reuters on trouve des chiffres du même ordre aux États-Unis et dans le reste de l’Europe. Cette fatigue généralisée entraîne partout une désaffection à l’encontre des médias traditionnels ou numériques. Sur l’ensemble des pays couverts par Reuters, une moyenne de 39% des personnes interrogées déclarent éviter carrément de s’informer. Ce phénomène a des causes profondes qu’il convient d’examiner pour tenter d’y remédier tant cette crise de l’information constitue une menace pour le fonctionnement normal de la démocratie.

La lassitude face à l’information permanente

L’enquête de la fondation Jean Jaurès souligne que les raisons principales de ce désarroi sont la conséquence des changements majeurs du fonctionnement de l’information depuis le début du XXIe siècle. Les médias traditionnels, journaux et chaînes de télévision proposaient aux usagers des rendez-vous fixes en dehors desquels chacun pouvait poursuivre sa vie. Or ils sont remplacés désormais et dans une large mesure par les réseaux sociaux et les messageries, qui sont accessibles en permanence en raison de l’usage généralisé des smartphones. C’est ainsi que 62% des personnes interrogées utilisent fréquemment les réseaux sociaux pour s’informer contre 51% pour les journaux télévisés et 41% pour la radio.

42% des personnes interrogées ont par conséquent le sentiment d’un trop plein d’informations qui les empêche de prendre du recul. 47% ont du mal à distinguer entre vraie et fausse information ou à relever ce qui est important et ce qu’il ne l’est pas. Dans ces conditions, elles sont 53% à avoir du mal à suivre le fil des événements.

Il en résulte un découragement face à l’actualité, ce qui est le cas de 57% des personnes interrogées. 43% en concluent qu’il n’est pas important de s’informer. Il en résulte une médiocre confiance dans les médias. Seulement 43% de l’ensemble de la population leur font confiance, et ce chiffre tombe à 38% pour les très fatigués. Par ailleurs, l’intérêt pour la politique ne se manifeste plus que pour 43% des personnes interrogées qui, en majorité, considèrent qu’il n’y a pas de différence entre la gauche et la droite. L’arrivée de l’intelligence artificielle, source d’innombrables manipulations du son et de l’image, ne fait que renforcer ces réflexes de méfiance et de retrait.

Le rapport Reuters qui examine chaque année le comportement des usagers dans 45 pays donne un aperçu de l’origine sociale des différentes catégories de consommateurs d’information. Les plus fatigués sont en majorité les moins de 35 ans et les non diplômés. En revanche, les plus diplômés et les plus de 65 ans continuent à faire majoritairement confiance aux médias traditionnels ou, dans une moindre mesure, numériques. Néanmoins, seule une minorité, de 10 à 20% selon les pays, est disposée à payer pour bénéficier d’une information numérique de meilleure qualité.

L’influence persistante des réseaux sociaux

Cependant, même les plus fatigués restent captifs des réseaux sociaux qu’ils ne peuvent s’empêcher de regarder. Selon la fondation Jean Jaurès, 51% des personnes interrogées reconnaissent passer beaucoup plus de temps que prévu sur les réseaux sociaux. Il s’agit certes pour elles d’une forme de divertissement mais elles récoltent malgré tout des bribes d’information mêlées à d’innombrables vidéos de loisirs, comme c’est notamment le cas sur Instagram ou Tik Tok. De ce fait, elles souffrent comme les autres catégories de la population du caractère anxiogène de ce flot continu d’alertes non sollicitées qui porte souvent sur des sujets particulièrement inquiétants comme l’Ukraine ou le Moyen Orient.

Ainsi, la combinaison du déclin de la confiance dans les médias traditionnels et du recours massif aux réseaux sociaux et messageries qui ne sont pourtant pas considérés comme suffisamment fiables aboutit à une dégradation majeure de l’information. Cette dégradation est aggravée par deux autres phénomènes : d’une part, le rôle croissant des influenceurs, c’est-à-dire des personnes sans aucune formation journalistique mais qui maîtrisent parfaitement les réseaux sociaux et qui rassemblent des centaines de milliers d’internautes ou même des millions comme Hugo décrypte en France, et d’autre part la propension de beaucoup d’usagers à créer leur propre information à travers des boucles de milliers d’intervenants sur WhatsApp ou Telegram où circulent impunément fausses nouvelles et propos complotistes.

Cette situation n’est pourtant pas irréversible. Les enquêtes de la fondation Jean Jaurès et du Reuters Institute montrent qu’il existe une forte demande pour une information correctement vérifiée et hiérarchisée qui permette de comprendre ce qui se passe dans le pays et dans le monde et qui traite les faits sans préjugés, de manière équitable. Il faut y ajouter le souhait chez les plus jeunes d’avoir accès à des informations positives, qui expliquent les initiatives et les succès des acteurs de l’économie et de la vie sociale.

La responsabilité des médias et des instances de régulation

Ce constat conduit logiquement à mettre en cause la responsabilité des médias et des pouvoirs publics. Si on veut éviter que cette fatigue qui entraine un retrait face à l’information d’environ un tiers de la population ne poursuive ses effets négatifs, il importe de réagir.

Les médias doivent tirer les conséquences du succès des influenceurs auprès des jeunes. Ce succès est dû dans une large mesure au fait que ces personnages tiennent un langage aisément accessible et sélectionnent des questions qui intéressent leur public. Presse et télévision doivent donc faire l’effort de modifier leur présentation pour être plus accessibles et de mieux tenir compte du rôle croissant de la vidéo et des podcasts.

Un autre défi à relever consiste à réduire l’importance des alertes sur les multiples crises de la planète pour éviter une forme de harcèlement médiatique, et donner en revanche la priorité aux enquêtes de fond sur les questions de la vie quotidienne.

Enfin pour tenir compte du relatif désintérêt à l’égard des applications des médias que seuls 20% des internautes consultent, presse et audiovisuel doivent accroître leur présence sur les grandes plateformes et notamment Instagram et TikTok plébiscitées par les jeunes.

Le besoin de régulation demeure en dépit des efforts des autorités nationales et européennes. Les grandes plateformes telles que Facebook, Instagram ou YouTube ont mis en place des dispositifs qui leur permettent de réduire l’importance des fausses nouvelles, mais les annonces récentes de Mark Zuckerberg (fondateur et dirigeant de Meta, qui possède Facebook) suggèrent une forte réduction des moyens alloués à la modération. Ils suivent ainsi la voie ouverte par X (ex-Twitter) que son propriétaire Elon Musk a libéré de toute contrainte et qui devrait être sanctionné par l’Union Européenne. La lutte contre la désinformation, alors que celle-ci est un facteur déterminant du rejet de l’information reste un vaste chantier pour lequel les citoyens, les médias et les pouvoirs publics doivent se mobiliser.


 

La frontière technologique et la remise en cause de la démocratie par Bernard Guilhon Professeur d'économie, Skema Business School .

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17 janvier 2025

La comparaison des PIB de 2024 avec ceux de 2019 indique que les États-Unis ont progressé de 10,7% alors que la moyenne de l’UE est de 4,8% et la performance de la France est de 3,7%. L’écart cumulé des taux de croissance des pays membres de l’UE sur vingt ans fait que, à cet horizon, aucun pays européen ne fera partie du G20.

Extrait de l'analyse : Pourquoi cette divergence ? Pour la saisir, il faut considérer à la fois les choix européens et, en regard, le sentier de développement américain, de plus en plus différent du nôtre. Ce ne sont pas simplement des modèles de financement ou des politiques économiques qui sont en cause, mais des arrangements institutionnels. Le deuxième mandat de Trump pourrait accélérer cette divergence.

La politique de la concurrence éloigne l’UE de la frontière technologique

L’objectif de la Stratégie de Lisbonne était que l’UE devienne l’économie la plus compétitive du monde par la production de connaissances et l’innovation. La concurrence devait enclencher la séquence : les gains de productivité amèneraient des dépenses accrues de R&D et d’investissement, qui permettraient des gains de parts de marché dans les produits de haute technologie. Les résultats ont été décevants. Si l’effet de « sagesse installée » enferme les comportements dans des séquences passées, l’UE affronte encore plusieurs vents contraires.

On admet certes l’idée que des taux de croissance plus élevés du PIB résultent de la capacité à exploiter les opportunités technologiques émergentes. Or le problème qui se pose est celui du sous-investissement des entreprises européennes. L’aversion pour le risque qu’elles ont développée se lit dans l’encours d’actifs liquides et monétaires « qui atteint [aujourd’hui] l’équivalent de quelque 30% du PIB en valeur contre 7,5% aux Etats-Unis[1] ». Pour financer les investissements dans les nouvelles techologies et la transition énergétique, il faut accroître l’épargne risquée et unifier, comme le recommande le rapport Draghi, des marchés de capitaux aujourd’hui trop fragmentés.

Les entreprises qui adaptent leurs stratégies aux institutions existantes concues dans le cadre de la libéralisation et de la concurrence peuvent être confrontées à des inefficiences lorsque des modifications importantes affectent les technologies, les marchés les produits ou l’environnement. Des transformations institutionnelles sont nécessaires pour concevoir des politiques industrielles suffisamment abondées et articulées à des politiques scientifiques et technologiques canalisées dans des directions privilégiées.

En effet, la politique de la concurrence a montré ses limites. C’est à la fois une question de fond, et une question empirique dans un contexte mondial qui n’est pas celui de la concurrence pure et parfaite.

Question de fond tout d’abord. Plutôt que de s'en remettre aux préférences et aux anticipations des agents économiques, il faut admettre que les défis contemporains ne peuvent être pris en charge par les seules forces du marché. Les marchés sont « aveugles » et même s'ils ne défaillent pas au sens de Pareto, ils sont incapables de fournir seuls une vision renouvelée et qualitativement différente du développement économique. Plus précisément, les signaux du marché sont limités quant à leur capacité à orienter le développement technico-économique. Le développement économique n'est pas le résultat d'avantages compétitifs naturels, exogènes et existants, mais la conséquence d'une création endogène de nouvelles opportunités qui conduisent à définir et à établir de nouveaux avantages compétitifs.


Suite de l'analyse >>>>

 

La fièvre parlementaire: colère, polarisation et politique TikTok à l’Assemblée nationale par Yann AlganDoyen de l'École d'affaires publiques et professeur d'économie, Sciences Po-Thomas RenaultMaître de conférence en économie, université Paris 1 Panthéon-SorbonneContact Thomas RenaultHugo SubtilChercheur post-doc, université de Zurich

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31 janvier 2024

Le vote de la motion de censure, et la démission du gouvernement Barnier le 4 décembre 2024, constituent l’acmé d’une véritable révolution politique en France. Avec cette censure, quasiment inédite dans l’histoire de la Ve République, la polarisation de la vie politique a atteint un sommet.

Extrait : Dans une récente note du Cepremap, « La Fièvre parlementaire : ce monde où l’on catche », nous utilisons des méthodes d’analyse textuelle et d’intelligence artificielle pour illustrer la métamorphose de l’Assemblée nationale à partir d’une analyse des deux millions de discours prononcés entre 2007 et 2024. L’ancien monde politique, marqué par l’alternance au pouvoir entre la gauche et la droite qui rythmait les débats parlementaires, a laissé place au nouveau monde. Celui-ci se caractérise par la fragmentation des partis et une polarisation très forte des débats à l’Assemblée depuis 2017.

Cette polarisation a été exacerbée par l’irruption des réseaux sociaux dans l’antre de notre démocratie.

La rhétorique émotionnelle s’est imposée depuis 2017, et de façon encore plus marquée à partir de 2022, tandis que le débat rationnel recule, diminuant ainsi leur caractère délibératif. Aujourd’hui, plus de la moitié des discours se rapprochent davantage de l’émotionnel que du rationnel. Les partis politiques populistes, tels que La France Insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN), sont les principaux vecteurs de cette évolution, bien que leurs trajectoires divergent. Alors que LFI intensifie sa rhétorique émotionnelle, le RN, conformément à la « stratégie de la cravate » affichée par Marine Le Pen, amorce une normalisation progressive.

Cette hausse des émotions est dominée par la colère, qui constitue 75% des discours émotionnels chez LFI et le RN. Ce phénomène n’est pas isolé. Les groupes politiques du centre et de la droite républicaine montrent également une augmentation — plus modérée — des émotions dans leurs discours, bien que les émotions positives comme la joie y soient plus présentes. Cependant, cette évolution marque une rupture avec l’ancien monde où les émotions étaient davantage liées à l’alternance au pouvoir : la gauche se montrait plus émotionnelle sous les gouvernements de droite, et vice versa. Aujourd’hui, tous les partis semblent être en colère.

Une deuxième leçon de cette radioscopie de l’Assemblée nationale est l’avènement d’une polarisation inédite des débats. Tout d’abord le fait que ce soit la colère qui domine les débats, en particulier aux deux extrémités de l’hémicycle, et non la peur ou la tristesse, rend toute marge de débats ou de réconciliation improbable. Les recherches les plus récentes en sciences cognitives et sciences sociales montrent que les individus dominés par la colère ne cherchent pas le compromis, mais à renverser la table dans une logique du « plus rien à perdre », et sont imperméables aux nouvelles informations contraires à leurs croyances initiales.[1] Cela se retrouve dans la hausse vertigineuse de nos indices de polarisation des débats dans les thématiques, le lexique, et les attaques des autres camps. Selon nos mesures, la polarisation a été multipliée par cinq au cours des deux dernière décennies, et surtout à partir de 2017 puis 2022.



Suite de l'analyse >>>


TIK TOK & cie mais pas seulement , en ajoutant les IA , tout le monde y va de son repertoire ...
 
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Vance à Munich: plaidoyer pour la liberté d’expression ou désaveu de la démocratie? par François gonfle Diplomate français (s'exprime ici à titre personnel)

4 mars 2025

L’allocution du vice-président Vance à la conférence de Munich sur la sécurité le 14 février dernier aura marqué tous les esprits. L’Europe s’est sentie trahie, toisée, humiliée ; l’Amérique dont on espérait le soutien, s’est détournée d’elle, et avec quelle morgue, au pire moment. Pas un mot sur le martyre ukrainien, pas un mot de compassion, pas une parole de désaveu de l’agression poutinienne, et maintes piques, en revanche, destinées à rabaisser et noircir le modèle européen.


Analyse : Certes, cette volée de bois vert pour l’Europe était préméditée, tactique, sans doute destinée à́ préparer et à légitimer le rapprochement américano-russe, la relégation de l’Europe dans la négociation sur la paix en Ukraine, et à promouvoir les intérêts des GAFAM. Mais il est difficile d’imaginer prestation plus dévastatrice, causant tant de ravages en si peu de temps, pour la relation transatlantique. Quelle leçon magistrale... d’anti-diplomatie !

Cependant, je voudrais m’attarder ici sur la lettre même de cette intervention, sans en approfondir les intentions politiques et diplomatiques – sans même attaquer le fond d’un sermon dont l’esprit de tolérance semble bien peu en accord avec la pratique brutale du gouvernement Trump – pour tenter d’en faire une exégèse naïve, littérale.

M. Vance fait mine de plaider pour une démocratie ouverte, libérale, sans frein, quasi libertarienne ; il nous reproche de brider l’expression de nos citoyens, de craindre leur verdict ; nos élites n’écouteraient pas les justes doléances du peuple, tout en feignant de le servir avec dévotion ; au fond, nous ne vaudrions guère mieux que les dictatures que nous dénigrons. La leçon est rude ; est-elle pertinente ?

La liberté d’expression est-elle absolue en démocratie?

M. Vance prétend que tout interdit, toute censure est pernicieuse, que l’on ne doit jamais redouter l’opinion, que le peuple doit être entendu et obéi à tout prix, que tout commencement de restriction laisserait présager la ruine de la démocratie. « La démocratie repose sur le principe sacré que la voix du peuple compte. Il n’y a pas de place pour les cordons sanitaires. Ou bien vous défendez ce principe, ou bien vous le rejetez. » L’argument a l’attrait de la simplicité ; et cependant, il me semble qu’il confond liberté et licence, démocratie et démagogie.

Il est vrai que la démocratie suppose la liberté de dire et d’écrire ses pensées ; mais il est faux qu’elle s’y réduise. Car elle dépérit par deux voies contraires, la censure et la licence ; la première éteint le dialogue, le plus souvent au profit des seules opinions favorables au pouvoir, la seconde l’étouffe en les laissant toutes s’exprimer dans le plus grand désordre, se heurter, s’engorger et s’annuler, pour finalement céder la place à la violence.

L’antique démocratie athénienne qui, en dépit de ses bornes et de l’abîme qui nous sépare d’elle, demeure le modèle d’une démocratie directe fourmillait de dispositions qui traduisaient l’extrême méfiance des Grecs à l’égard de la cupidité, de l’avidité de pouvoir, de l’aveuglement, de la partialité des citoyens. L’ostracisme poussait à bout cet esprit ; qui, aujourd’hui consentirait à exiler un citoyen pour la seule raison que son influence, jugée excessive, pourrait menacer l’équilibre de la cité ?

Si M. Vance avait raison, si toute discussion, dénuée d’arbitre, exempte de règles, conduisait naturellement au bien commun, alors l’anarchie serait bien préférable à la démocratie. Or il n’en est rien : elle conduit à la tyrannie. Inversement, si la moindre restriction à la liberté d’expression était blâmable, quelle différence entre ́nos démocraties et les pires dictatures ? Tous les États limitent la liberté par diverses voies et à divers degrés ; tous se vaudraient donc. On voit le merveilleux parti que les despotes peuvent tirer de cette thèse. Comment fixer la frontière, le juste milieu entre ces deux extrêmes ? C’est malaisé en effet, et chaque démocratie authentique doit trouver sa voie propre, celle qui répond le mieux à sa culture, à son histoire. Nulle recette universelle en la matière.

M. Vance semble supposer que la liberté d’expression doit l’emporter sur toute autre liberté, toute autre valeur. Or c’est une vue de l’esprit, péremptoire, démentie par l’expérience, dangereuse pour la démocratie. Tout l’art du droit consiste à tenter de concilier des libertés et des droits différents, parfois contradictoires, et suivant des modalités changeantes, tributaires de l’évolution des mœurs.

La liberté d’expression doit parfois s’effacer devant l’impératif de la tranquillité publique, le péril de la propagation d’un fondamentalisme ouvertement hostile à la démocratie, de la haine raciale ou de l’antisémitisme. Et l’on doit toujours veiller qu’elle ne soit pas manipulée par les plus puissants ou les plus habiles : les dérives des réseaux sociaux l’attestent.

À quoi servirait cette liberté absolue si elle faisait le jeu de ses ennemis ? La république de Weimar était ouverte et libre, forte d’un peuple cultivé regorgeant de savants, d’écrivains, d’artistes ; elle a sous-estimé, et n’a pu su se défendre contre, le démon intérieur du nazisme et s’est effondrée comme un château de cartes.

Vox populi, vox dei ?

M. Vance se targue de croire en l’homme, et nous fait reproche de négliger nos concitoyens, voire de les redouter : « si vous craignez vos propres électeurs, l’Amérique ne peut rien faire pour vous ». Cette méfiance supposée à l’égard du peuple serait le ver rongeur de la démocratie européenne, l’indice de son délabrement, de son penchant inavoué pour la dictature des élites. Mais ce mot de « peuple » est trompeur : les citoyens sont divers et changeants ; ils ont des buts, des opinions contradictoires, et bien souvent confuses ; chacun voit midi à sa porte, tend à négliger les intérêts de son voisin, à en minimiser la portée et le bien fondé. D’un autre côté, cette diversité est une richesse, établit et justifie la société et le but de la démocratie est d’en tirer le meilleur parti possible.

Si les citoyens étaient unanimes, l’art politique serait aisé, voire inutile : il suffirait de suivre un peuple soudé par une même pensée, un même dessein. Le contraire est vrai : les intérêts se heurtent, les ressources sont bornées et chacun en veut la plus grande part, les avis diffèrent : il faut apaiser les dissensions, trancher au terme de maints compromis. Seuls les démagogues font du peuple un tout uniforme, prétendent l’incarner et cela à seule fin de discréditer et d’abattre leurs rivaux. Et cette méfiance raisonnée, lucide est aussi nécessaire que cette foi. La démocratie attache un grand prix non seulement à l’instruction, mais encore à l’éducation et aux lois. Pourquoi cela ? Si l’homme était né bon, l’éducation et les lois seraient inutiles ou dangereuses ; et s’il était irrémédiablement mauvais, elles ne seraient qu’un voile stérile. Il faut donc avoir foi en l’homme, mais sans aveuglement, tout en sachant le mal qu’il peut faire sitôt que son pouvoir est sans frein. La démocratie fait le pari de trouver ce juste équilibre entre doute et foi, liberté et contrainte ; son succès en dépend.

La pluralité des valeurs en démocratie

M. Vance reproche à l’Europe d’ignorer ce qu’elle prétend vouloir défendre, de ne pas avoir une valeur commune, partagée pour la guider. Il n’a peut-être pas tort. Mais l’Europe diffère-t-elle là-dessus des États-Unis ou de tout autre Etat ? Il serait miraculeux que cinq cents millions de citoyens, de culture, de langue, de religion si diverses partagent tous les mêmes aspirations. Et je ne connais guère d’être humain qui n’en ait plusieurs, souvent contradictoires, et qui n’en ait changé au cours d’une vie. Au reste, est-ce un travers si criant ? L’ordre de la politique diffère de celui de la foi ou de la morale ; un régime qui marcherait de concert dans une seule direction n’est-il pas plus blâmable, et dangereux, qu’une société qui débat, s’interroge, délibère sur ses fins, réexamine et amende ses vues au gré des leçons de l’expérience, de ses déconvenues, des découvertes de la science, des enseignements des humanités ?

La seule chose qu’une démocratie doit, me semble-t-il, révérer, et travailler à raffermir, est une quête honnête de la vérité, fondée sur le doute, l’expérience, la réflexion critique. Or de cette humble exigence de vérité, M. Vance semble faire bien peu de cas. Les quelques exemples qu’il allègue pour condamner les infractions à la liberté d’expression en Europe sont tronqués, travestis, dénués de tout contexte. Il vitupère, par exemple, contre la loi écossaise qui, dit-il, interdirait et punirait sévèrement toute prière à proximité d’une clinique pratiquant l’avortement. Or le gouvernement écossais se borne à déconseiller le déploiement de manifestations anti-avortement de nature à troubler l’ordre public et le travail des médecins. Car la liberté de protester, dont M. Vance se fait le thuriféraire, n’est pas illimitée ; elle ne peut aller jusqu’à justifier le harcèlement, l’intimidation et la perturbation d’un service public aussi vital que l’hôpital. Et il va de soi – mais M. Vance se garde de le dire – e que les adversaires de l’avortement ont toute liberté de s’exprimer en Écosse[1]. Ajoutons qu’il y a quelque indécence à s’offusquer de ces limitations tout en taisant l’extermination de toute opposition politique en Russie…

Fragilité des démocraties

M. Vance conclut sa diatribe, et pense sans doute nous porter l’estocade, en disant qu’une démocratie qui se prémunit si bien, avec tant de hâte et de zèle, contre la désinformation doit être fragile. Nos lois, l’excès de nos précautions, seraient un aveu de faiblesse. Il désavoue ainsi, à mots couverts, l’annulation de l’élection présidentielle roumaine sur le fondement de « vagues soupçons » d’une campagne de désinformation russe et ajoute : « si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique provenant d’un pays étranger, alors c’est qu’elle n’était pas très solide au départ » ; et puis encore : « si la démocratie américaine peut survivre à dix ans de réprimandes de Greta Thunberg, vous pouvez survivre à quelques mois d’Elon Musk ». L’humour entend blesser notre amour-propre et ébranler nos convictions.

M. Vance a raison à son insu : la démocratie est fragile en effet ; mais cette fragilité n’est point une tare honteuse ; c’est la conséquence de sa subtilité, de sa complexité, de sa sophistication ; ses institutions, ses lois s’édifient avec peine, nécessitent beaucoup de soins, de réflexion, de dialogue ; c’est une œuvre de longue haleine, inlassablement remise en cause. Cette fragilité augmente son prix ; elle justifie qu’on la chérisse, qu’on s’applique à la fortifier, et non qu’on la dédaigne comme un monstre chétif et difforme.


M. Vance évoque la célèbre parole biblique, que le pape Jean-Paul II aimait à citer : « N’ayez pas peur ». Étrange référence, si déplacée qu’on a de la peine à démêler la provocation de l’ironie ! Outre que M. Vance ne déborde guère de cet esprit de charité et d’amour que le Pape opposait au dessèchement de la défiance et de l’égoïsme, et que le rapprochement du gouvernement Trump avec la dictature poutinienne s’accorde mal avec l’admirable fermeté de Jean-Paul II contre la dictature soviétique, il semble méconnaître que la foi en l’homme n’est pas de même nature que la foi en Dieu ; pour le chrétien, l’homme est créé à la ressemblance de Dieu et la foi qu’on lui porte ne peut être aussi absolue, aussi illimitée que celle qu’on nourrit pour son créateur si l’on a la foi. Cet amalgame abusif porte, au reste, un nom : il s’appelle le péché d’idolâtrie ; et c’est une figure de la barbarie.


 

Vance à Munich: plaidoyer pour la liberté d’expression ou désaveu de la démocratie? par François gonfle Diplomate français (s'exprime ici à titre personnel)

4 mars 2025

L’allocution du vice-président Vance à la conférence de Munich sur la sécurité le 14 février dernier aura marqué tous les esprits. L’Europe s’est sentie trahie, toisée, humiliée ; l’Amérique dont on espérait le soutien, s’est détournée d’elle, et avec quelle morgue, au pire moment. Pas un mot sur le martyre ukrainien, pas un mot de compassion, pas une parole de désaveu de l’agression poutinienne, et maintes piques, en revanche, destinées à rabaisser et noircir le modèle européen.


Analyse : Certes, cette volée de bois vert pour l’Europe était préméditée, tactique, sans doute destinée à́ préparer et à légitimer le rapprochement américano-russe, la relégation de l’Europe dans la négociation sur la paix en Ukraine, et à promouvoir les intérêts des GAFAM. Mais il est difficile d’imaginer prestation plus dévastatrice, causant tant de ravages en si peu de temps, pour la relation transatlantique. Quelle leçon magistrale... d’anti-diplomatie !

Cependant, je voudrais m’attarder ici sur la lettre même de cette intervention, sans en approfondir les intentions politiques et diplomatiques – sans même attaquer le fond d’un sermon dont l’esprit de tolérance semble bien peu en accord avec la pratique brutale du gouvernement Trump – pour tenter d’en faire une exégèse naïve, littérale.

M. Vance fait mine de plaider pour une démocratie ouverte, libérale, sans frein, quasi libertarienne ; il nous reproche de brider l’expression de nos citoyens, de craindre leur verdict ; nos élites n’écouteraient pas les justes doléances du peuple, tout en feignant de le servir avec dévotion ; au fond, nous ne vaudrions guère mieux que les dictatures que nous dénigrons. La leçon est rude ; est-elle pertinente ?

La liberté d’expression est-elle absolue en démocratie?

M. Vance prétend que tout interdit, toute censure est pernicieuse, que l’on ne doit jamais redouter l’opinion, que le peuple doit être entendu et obéi à tout prix, que tout commencement de restriction laisserait présager la ruine de la démocratie. « La démocratie repose sur le principe sacré que la voix du peuple compte. Il n’y a pas de place pour les cordons sanitaires. Ou bien vous défendez ce principe, ou bien vous le rejetez. » L’argument a l’attrait de la simplicité ; et cependant, il me semble qu’il confond liberté et licence, démocratie et démagogie.

Il est vrai que la démocratie suppose la liberté de dire et d’écrire ses pensées ; mais il est faux qu’elle s’y réduise. Car elle dépérit par deux voies contraires, la censure et la licence ; la première éteint le dialogue, le plus souvent au profit des seules opinions favorables au pouvoir, la seconde l’étouffe en les laissant toutes s’exprimer dans le plus grand désordre, se heurter, s’engorger et s’annuler, pour finalement céder la place à la violence.

L’antique démocratie athénienne qui, en dépit de ses bornes et de l’abîme qui nous sépare d’elle, demeure le modèle d’une démocratie directe fourmillait de dispositions qui traduisaient l’extrême méfiance des Grecs à l’égard de la cupidité, de l’avidité de pouvoir, de l’aveuglement, de la partialité des citoyens. L’ostracisme poussait à bout cet esprit ; qui, aujourd’hui consentirait à exiler un citoyen pour la seule raison que son influence, jugée excessive, pourrait menacer l’équilibre de la cité ?

Si M. Vance avait raison, si toute discussion, dénuée d’arbitre, exempte de règles, conduisait naturellement au bien commun, alors l’anarchie serait bien préférable à la démocratie. Or il n’en est rien : elle conduit à la tyrannie. Inversement, si la moindre restriction à la liberté d’expression était blâmable, quelle différence entre ́nos démocraties et les pires dictatures ? Tous les États limitent la liberté par diverses voies et à divers degrés ; tous se vaudraient donc. On voit le merveilleux parti que les despotes peuvent tirer de cette thèse. Comment fixer la frontière, le juste milieu entre ces deux extrêmes ? C’est malaisé en effet, et chaque démocratie authentique doit trouver sa voie propre, celle qui répond le mieux à sa culture, à son histoire. Nulle recette universelle en la matière.

M. Vance semble supposer que la liberté d’expression doit l’emporter sur toute autre liberté, toute autre valeur. Or c’est une vue de l’esprit, péremptoire, démentie par l’expérience, dangereuse pour la démocratie. Tout l’art du droit consiste à tenter de concilier des libertés et des droits différents, parfois contradictoires, et suivant des modalités changeantes, tributaires de l’évolution des mœurs.

La liberté d’expression doit parfois s’effacer devant l’impératif de la tranquillité publique, le péril de la propagation d’un fondamentalisme ouvertement hostile à la démocratie, de la haine raciale ou de l’antisémitisme. Et l’on doit toujours veiller qu’elle ne soit pas manipulée par les plus puissants ou les plus habiles : les dérives des réseaux sociaux l’attestent.

À quoi servirait cette liberté absolue si elle faisait le jeu de ses ennemis ? La république de Weimar était ouverte et libre, forte d’un peuple cultivé regorgeant de savants, d’écrivains, d’artistes ; elle a sous-estimé, et n’a pu su se défendre contre, le démon intérieur du nazisme et s’est effondrée comme un château de cartes.

Vox populi, vox dei ?

M. Vance se targue de croire en l’homme, et nous fait reproche de négliger nos concitoyens, voire de les redouter : « si vous craignez vos propres électeurs, l’Amérique ne peut rien faire pour vous ». Cette méfiance supposée à l’égard du peuple serait le ver rongeur de la démocratie européenne, l’indice de son délabrement, de son penchant inavoué pour la dictature des élites. Mais ce mot de « peuple » est trompeur : les citoyens sont divers et changeants ; ils ont des buts, des opinions contradictoires, et bien souvent confuses ; chacun voit midi à sa porte, tend à négliger les intérêts de son voisin, à en minimiser la portée et le bien fondé. D’un autre côté, cette diversité est une richesse, établit et justifie la société et le but de la démocratie est d’en tirer le meilleur parti possible.

Si les citoyens étaient unanimes, l’art politique serait aisé, voire inutile : il suffirait de suivre un peuple soudé par une même pensée, un même dessein. Le contraire est vrai : les intérêts se heurtent, les ressources sont bornées et chacun en veut la plus grande part, les avis diffèrent : il faut apaiser les dissensions, trancher au terme de maints compromis. Seuls les démagogues font du peuple un tout uniforme, prétendent l’incarner et cela à seule fin de discréditer et d’abattre leurs rivaux. Et cette méfiance raisonnée, lucide est aussi nécessaire que cette foi. La démocratie attache un grand prix non seulement à l’instruction, mais encore à l’éducation et aux lois. Pourquoi cela ? Si l’homme était né bon, l’éducation et les lois seraient inutiles ou dangereuses ; et s’il était irrémédiablement mauvais, elles ne seraient qu’un voile stérile. Il faut donc avoir foi en l’homme, mais sans aveuglement, tout en sachant le mal qu’il peut faire sitôt que son pouvoir est sans frein. La démocratie fait le pari de trouver ce juste équilibre entre doute et foi, liberté et contrainte ; son succès en dépend.

La pluralité des valeurs en démocratie

M. Vance reproche à l’Europe d’ignorer ce qu’elle prétend vouloir défendre, de ne pas avoir une valeur commune, partagée pour la guider. Il n’a peut-être pas tort. Mais l’Europe diffère-t-elle là-dessus des États-Unis ou de tout autre Etat ? Il serait miraculeux que cinq cents millions de citoyens, de culture, de langue, de religion si diverses partagent tous les mêmes aspirations. Et je ne connais guère d’être humain qui n’en ait plusieurs, souvent contradictoires, et qui n’en ait changé au cours d’une vie. Au reste, est-ce un travers si criant ? L’ordre de la politique diffère de celui de la foi ou de la morale ; un régime qui marcherait de concert dans une seule direction n’est-il pas plus blâmable, et dangereux, qu’une société qui débat, s’interroge, délibère sur ses fins, réexamine et amende ses vues au gré des leçons de l’expérience, de ses déconvenues, des découvertes de la science, des enseignements des humanités ?

La seule chose qu’une démocratie doit, me semble-t-il, révérer, et travailler à raffermir, est une quête honnête de la vérité, fondée sur le doute, l’expérience, la réflexion critique. Or de cette humble exigence de vérité, M. Vance semble faire bien peu de cas. Les quelques exemples qu’il allègue pour condamner les infractions à la liberté d’expression en Europe sont tronqués, travestis, dénués de tout contexte. Il vitupère, par exemple, contre la loi écossaise qui, dit-il, interdirait et punirait sévèrement toute prière à proximité d’une clinique pratiquant l’avortement. Or le gouvernement écossais se borne à déconseiller le déploiement de manifestations anti-avortement de nature à troubler l’ordre public et le travail des médecins. Car la liberté de protester, dont M. Vance se fait le thuriféraire, n’est pas illimitée ; elle ne peut aller jusqu’à justifier le harcèlement, l’intimidation et la perturbation d’un service public aussi vital que l’hôpital. Et il va de soi – mais M. Vance se garde de le dire – e que les adversaires de l’avortement ont toute liberté de s’exprimer en Écosse[1]. Ajoutons qu’il y a quelque indécence à s’offusquer de ces limitations tout en taisant l’extermination de toute opposition politique en Russie…

Fragilité des démocraties

M. Vance conclut sa diatribe, et pense sans doute nous porter l’estocade, en disant qu’une démocratie qui se prémunit si bien, avec tant de hâte et de zèle, contre la désinformation doit être fragile. Nos lois, l’excès de nos précautions, seraient un aveu de faiblesse. Il désavoue ainsi, à mots couverts, l’annulation de l’élection présidentielle roumaine sur le fondement de « vagues soupçons » d’une campagne de désinformation russe et ajoute : « si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique provenant d’un pays étranger, alors c’est qu’elle n’était pas très solide au départ » ; et puis encore : « si la démocratie américaine peut survivre à dix ans de réprimandes de Greta Thunberg, vous pouvez survivre à quelques mois d’Elon Musk ». L’humour entend blesser notre amour-propre et ébranler nos convictions.

M. Vance a raison à son insu : la démocratie est fragile en effet ; mais cette fragilité n’est point une tare honteuse ; c’est la conséquence de sa subtilité, de sa complexité, de sa sophistication ; ses institutions, ses lois s’édifient avec peine, nécessitent beaucoup de soins, de réflexion, de dialogue ; c’est une œuvre de longue haleine, inlassablement remise en cause. Cette fragilité augmente son prix ; elle justifie qu’on la chérisse, qu’on s’applique à la fortifier, et non qu’on la dédaigne comme un monstre chétif et difforme.


M. Vance évoque la célèbre parole biblique, que le pape Jean-Paul II aimait à citer : « N’ayez pas peur ». Étrange référence, si déplacée qu’on a de la peine à démêler la provocation de l’ironie ! Outre que M. Vance ne déborde guère de cet esprit de charité et d’amour que le Pape opposait au dessèchement de la défiance et de l’égoïsme, et que le rapprochement du gouvernement Trump avec la dictature poutinienne s’accorde mal avec l’admirable fermeté de Jean-Paul II contre la dictature soviétique, il semble méconnaître que la foi en l’homme n’est pas de même nature que la foi en Dieu ; pour le chrétien, l’homme est créé à la ressemblance de Dieu et la foi qu’on lui porte ne peut être aussi absolue, aussi illimitée que celle qu’on nourrit pour son créateur si l’on a la foi. Cet amalgame abusif porte, au reste, un nom : il s’appelle le péché d’idolâtrie ; et c’est une figure de la barbarie.


Selon Vance, on doit pouvoir absolument tout dire ... sauf dire que l'étendue d'eau qui borde la Floride, la Louisiane, le Mississippi, le Texas, le Yucatán s'appelle "Golfe du Mexique"... :siffle: :siffle: :siffle:
 

« Une tragédie profonde » : près de 60 % des adultes dans le monde seront obèses ou en surpoids d’ici 2050

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6 mars 2035

Selon les résultats de cette étude publiée dans la célèbre revue The Lancet, un tiers des enfants, des adolescents seront également en surpoids ou obèses d’ici 25 ans.

Article : Les niveaux d’obésité vont-ils considérablement s’accélérer ? C’est ce que prévoit un groupe d’experts qui a publié une nouvelle étude dans la prestigieuse revue The Lancet, selon laquelle plus de la moitié des adultes et un tiers des enfants et des adolescents du monde entier seront en surpoids ou obèses d’ici 2050.

Dans cette étude, les chercheurs préviennent que les niveaux d’obésité devraient s’accélérer rapidement au cours du reste de la décennie, en particulier dans les pays à faible revenu. Toutefois, ils affirment que si les gouvernements prennent des mesures urgentes dès maintenant, il est encore temps d’empêcher ce qu’ils décrivent comme une « tragédie profonde ».

En 2021, un milliard d’hommes et 1,11 milliard de femmes âgés de 25 ans ou plus étaient en surpoids ou obèses, soit un peu moins de la moitié de la population. La proportion d’hommes et de femmes vivant avec ces maladies a doublé depuis 1990. Si les tendances se poursuivent, les taux d’adultes en surpoids ou obèses pourraient atteindre environ 57,4 % pour les hommes et 60,3 % pour les femmes d’ici 25 ans.

En termes de chiffres bruts, la Chine, l’Inde et les États-Unis, avec respectivement 627, 450 et 214 millions, seront les pays comptant la plus grande population de personnes en surpoids ou obèses à la moitié du XXIe siècle.

« Un échec sociétal monumental »

D’autre part, les experts prévoient que le nombre de personnes en Afrique subsaharienne augmentera de plus de 250 % pour atteindre 522 millions. Le Nigeria se distingue, avec un nombre de personnes en surpoids ou obèses qui devrait quasiment quadrupler, passant de 36,6 millions en 2021 à 141 millions en 2050. Cela ferait du pays le plus peuplé d’Afrique la quatrième plus grande population mondiale d’adultes en surpoids ou obèses.

Les auteurs reconnaissent que leur étude ne prend pas en compte l’impact que pourraient avoir les nouveaux médicaments qui permettent de perdre du poids, alors qu’ils pourraient jouer un rôle important à l’avenir.

« [Les gouvernements] peuvent utiliser nos estimations spécifiques à chaque pays (…) pour identifier les populations prioritaires qui subissent les plus lourdes charges d’obésité et qui nécessitent une intervention et un traitement immédiats », a déclaré la directrice de l’étude, le professeur Emmanuela Gakidou, de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME). Cette dernière considère cette « épidémie » comme « une tragédie profonde et un échec sociétal monumental ».


 

« Une tragédie profonde » : près de 60 % des adultes dans le monde seront obèses ou en surpoids d’ici 2050

6 mars 2035

Selon les résultats de cette étude publiée dans la célèbre revue The Lancet, un tiers des enfants, des adolescents seront également en surpoids ou obèses d’ici 25 ans.

Article : Les niveaux d’obésité vont-ils considérablement s’accélérer ? C’est ce que prévoit un groupe d’experts qui a publié une nouvelle étude dans la prestigieuse revue The Lancet, selon laquelle plus de la moitié des adultes et un tiers des enfants et des adolescents du monde entier seront en surpoids ou obèses d’ici 2050.

Dans cette étude, les chercheurs préviennent que les niveaux d’obésité devraient s’accélérer rapidement au cours du reste de la décennie, en particulier dans les pays à faible revenu. Toutefois, ils affirment que si les gouvernements prennent des mesures urgentes dès maintenant, il est encore temps d’empêcher ce qu’ils décrivent comme une « tragédie profonde ».

En 2021, un milliard d’hommes et 1,11 milliard de femmes âgés de 25 ans ou plus étaient en surpoids ou obèses, soit un peu moins de la moitié de la population. La proportion d’hommes et de femmes vivant avec ces maladies a doublé depuis 1990. Si les tendances se poursuivent, les taux d’adultes en surpoids ou obèses pourraient atteindre environ 57,4 % pour les hommes et 60,3 % pour les femmes d’ici 25 ans.

En termes de chiffres bruts, la Chine, l’Inde et les États-Unis, avec respectivement 627, 450 et 214 millions, seront les pays comptant la plus grande population de personnes en surpoids ou obèses à la moitié du XXIe siècle.

« Un échec sociétal monumental »

D’autre part, les experts prévoient que le nombre de personnes en Afrique subsaharienne augmentera de plus de 250 % pour atteindre 522 millions. Le Nigeria se distingue, avec un nombre de personnes en surpoids ou obèses qui devrait quasiment quadrupler, passant de 36,6 millions en 2021 à 141 millions en 2050. Cela ferait du pays le plus peuplé d’Afrique la quatrième plus grande population mondiale d’adultes en surpoids ou obèses.

Les auteurs reconnaissent que leur étude ne prend pas en compte l’impact que pourraient avoir les nouveaux médicaments qui permettent de perdre du poids, alors qu’ils pourraient jouer un rôle important à l’avenir.

« [Les gouvernements] peuvent utiliser nos estimations spécifiques à chaque pays (…) pour identifier les populations prioritaires qui subissent les plus lourdes charges d’obésité et qui nécessitent une intervention et un traitement immédiats », a déclaré la directrice de l’étude, le professeur Emmanuela Gakidou, de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME). Cette dernière considère cette « épidémie » comme « une tragédie profonde et un échec sociétal monumental ».



Cé une maladi génétik
 
Les saints philosophes Augustin et Aquin versus la grande stratégie américaine by Andrew Latham / Latham is a Professor of International Relations and Political Theory at Macalester College, St. Paul, MN, and Research Associate with the Centre for Defence and Security Studies, Canada. He has published in The Hill, the National Interest, the Diplomat, RealClearDefense, Defense One, Wavell Room, and the Conversation.

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8 mars 2025

Prudence, justice, force d'âme, tempérance : autant d'éléments nécessaires à une politique de modération.

Reflexion : L'art de la grande stratégie est souvent considéré comme un exercice de projection de puissance, de dissuasion et de garantie des intérêts nationaux dans un ordre international anarchique. Pourtant, les grands penseurs de la tradition occidentale offrent un cadre moral et philosophique plus profond pour réfléchir à l'art de gouverner.

Augustin d'Hippone et Thomas d'Aquin, s'inspirant de la tradition classique, en particulier de Platon, ont développé une vision durable de la vertu qui devrait éclairer notre compréhension du leadership et de la stratégie. Leur articulation des vertus cardinales - la prudence, la justice, la force d'âme et la tempérance - offre une perspective intemporelle à travers laquelle encadrer et évaluer la grande stratégie.

Chacune de ces vertus joue un rôle dans l'élaboration d'une approche saine de la politique étrangère, mais la tempérance se distingue comme étant la plus vitale dans un monde où les grandes puissances risquent une extension excessive, des conflits inutiles et d'innombrables autres blessures qu'elles s'infligent elles-mêmes et qui sont en fin de compte fondées sur l'orgueil démesuré et le désir de primauté.

Une grande stratégie de retenue, enracinée dans les vertus cardinales telles qu'elles sont comprises par Augustin et Aquin, offre une alternative durable et moralement cohérente aux excès de la primauté et à d'autres tentations hubristiques. En analysant la pertinence de chaque vertu pour la grande stratégie, nous pouvons voir comment la retenue apparaît non seulement comme une voie éthique, mais aussi comme une approche pratique de la stratégie.

La prudence : Le fondement de la sagesse stratégique

La prudence, ou sagesse pratique, est la capacité de porter des jugements judicieux dans des environnements incertains et complexes. Augustin et l'Aquinate considèrent la prudence comme la première des vertus, car elle guide et ordonne les autres, en veillant à ce que la justice, la force d'âme et la tempérance soient correctement exercées. C'est la pierre angulaire intellectuelle de la grande stratégie, qui aide les dirigeants à faire la distinction entre les conflits nécessaires et inutiles, les intérêts essentiels et périphériques, et les objectifs réalisables et illusoires.

Une grande stratégie prudente reconnaît les limites de la puissance. Les États-Unis, par exemple, ont appris - parfois au prix fort - que la projection de puissance sans objectifs stratégiques clairs conduit à des bourbiers, comme on l'a vu en Irak et en Afghanistan. La prudence veut que les décideurs politiques reconnaissent les coûts d'une extension excessive et les rendements décroissants d'interventions militaires dépourvues d'objectifs clairs et réalisables.

La retenue, en tant que posture stratégique, s'aligne sur la prudence en donnant la priorité aux intérêts essentiels, en évitant les enchevêtrements inutiles et en préservant la puissance nationale pour le moment où elle sera vraiment nécessaire. Cela signifie qu'il faut faire la distinction entre les menaces existentielles et celles qui peuvent être gérées par la diplomatie, les alliances et la diplomatie économique plutôt que par la force militaire.

La justice : La dimension éthique de la conduite des affaires publiques

La justice dans la grande stratégie implique l'utilisation équitable et proportionnelle du pouvoir. L'Aquinate, s'appuyant sur Augustin, a lié la justice au bon ordre de la société et au bien commun. Il reconnaît que la fin ne justifie pas toujours les moyens et que la légitimité d'une grande puissance dépend de son adhésion à certains principes moraux, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières.

Une grande stratégie modérée est plus juste qu'une stratégie fondée sur la primauté ou l'interventionnisme, car elle évite les guerres inutiles, minimise les dommages collatéraux et respecte les engagements nationaux de manière responsable. L'usage inconsidéré de la force, même s'il est tactiquement efficace, peut éroder la légitimité à long terme, comme en témoignent les coûts de réputation supportés par les États-Unis à la suite de la guerre d'Irak.

La justice exige également que les grandes puissances respectent la souveraineté des autres nations plutôt que de s'engager dans un changement de régime coercitif ou dans des interventions militaires perpétuelles. Une stratégie de retenue permet donc de maintenir la stabilité internationale en évitant le cycle d'intervention et de réaction qui a caractérisé une grande partie de la politique étrangère américaine de l'après-guerre froide.

La force d'âme : La force sans l'orgueil

La force d'âme, ou le courage, est un élément essentiel de la grande stratégie, mais elle doit être orientée vers des objectifs durables plutôt que vers des ambitions inconsidérées.

Augustin considérait la force d'âme comme la vertu qui permet à un dirigeant d'endurer des épreuves pour une cause juste, plutôt que de rechercher la domination pour elle-même. La véritable force d'âme consiste à équilibrer le pouvoir et à atténuer les menaces sans succomber à l'excès de confiance de la primauté et de l'hégémonie. Chercher à dominer chaque région, s'engager dans des conflits sans fin ou assumer un leadership mondial dans tous les domaines n'est pas de la force, c'est de l'orgueil démesuré. La force, en revanche, consiste à définir soigneusement les objectifs nationaux, à défendre les intérêts fondamentaux et à reconnaître les limites.

Une grande stratégie de retenue exige de la force morale, car elle requiert la discipline nécessaire pour éviter les conflits inutiles tout en maintenant une dissuasion crédible. Équilibrer la puissance signifie s'assurer qu'aucun acteur ne domine une région stratégique, tandis qu'émousser les menaces implique d'utiliser un mélange de diplomatie, d'alliances et de capacités militaires sélectives pour contrôler les adversaires sans s'enchevêtrer excessivement.

Cette approche reflète une conception réaliste de la puissance : celle-ci est limitée et doit être appliquée judicieusement plutôt que d'être gaspillée dans des tentatives futiles de maintenir l'hégémonie mondiale.

La tempérance : La clé de voûte de la modération

Parmi les vertus cardinales, la tempérance - ou retenue - est celle qui s'applique le plus directement à la grande stratégie. Augustin et Thomas d'Aquin ont souligné que la tempérance est la vertu qui permet à la sagesse, au courage et à la justice de fonctionner en harmonie plutôt que dans l'excès. En termes stratégiques, la tempérance consiste à éviter les excès, les conflits inutiles et à faire preuve de discipline lorsqu'il s'agit d'allouer des ressources.

Une grande stratégie de modération est, à la base, une stratégie de tempérance. Elle reconnaît que la puissance nationale est limitée et qu'il est plus sage de la préserver pour des objectifs essentiels que de la dissiper par des engagements militaires excessifs à la poursuite d'objectifs chimériques. Le déclin des grandes puissances du passé - de Rome à la Grande-Bretagne - illustre les dangers de la démesure impériale.

La leçon à tirer pour les États-Unis est claire : la patience stratégique et une définition minutieuse des priorités sont nécessaires pour éviter de reproduire ces schémas historiques.

La tempérance s'applique également aux outils économiques et diplomatiques. Le recours excessif aux sanctions, par exemple, peut conduire à des rendements décroissants, poussant les adversaires à se tourner vers d'autres systèmes financiers et sapant l'effet de levier à long terme.

De même, une politique étrangère qui exige une conformité idéologique de la part des alliés peut se retourner contre eux, en aliénant des partenaires qui pourraient autrement partager des intérêts stratégiques. Une grande stratégie modérée, fondée sur la tempérance, évite ces écueils en exerçant une influence mesurée plutôt qu'en tentant de dominer tous les aspects des affaires internationales.

La vertu de la retenue

Une grande stratégie de retenue, fondée sur ces vertus, n'est pas une abdication du leadership, mais un recalibrage de celui-ci. Elle reconnaît que la véritable force ne réside pas dans la tentative de maintenir et de contrôler le soi-disant ordre international fondé sur des règles, mais dans la conservation avisée de la puissance nationale et dans l'application de cette puissance pour atteindre des objectifs plus limités.

Elle accepte que certains défis mondiaux doivent être gérés plutôt que résolus par la force. Et elle adopte une vision à long terme dans laquelle la stabilité et la sécurité nationale sont préservées par un engagement judicieux, plutôt qu'excessif.

Les États-Unis sont confrontés à un monde de multipolarité, de rivalités régionales et d'alliances changeantes. Dans un tel environnement, les vertus cardinales, telles qu'articulées par Augustin et Aquin, offrent non seulement une boussole éthique mais aussi un plan stratégique. La retenue, guidée par la prudence, la justice, la force morale et, surtout, la tempérance, constitue la voie la plus sûre vers un engagement mondial durable au XXIe siècle.


 
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