Bloodline
J'ai commencé à la visionner cette semaine et je suis conquis. Dispo en Vostfr
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Bloodline – Frères ennemis
C'est l'histoire de trois frères et d'une sœur. Ou plutôt, non. C'est l'histoire d'un aîné et de son cadet qu'un drame ancien a séparé et que le temps a éloigné au point d'en faire des presqu'étrangers. C'est l'histoire d'un bon fils et d'un mauvais fils.
« Bloodline » aurait pu être un roman russe du XIXe siècle tant le ressentiment silencieux, la rancune ressassée et les non-dits hantent les conversations et les souvenirs de cette famille en apparence heureuse.
La série imaginée et écrite par les frères Glenn et Todd A. Kessler et par Daniel Zelman, qui étaient derrière
« Damages », constitue (peut-être) ce que Netflix a proposé de plus maîtrisé, de plus abouti et de plus palpitant – en première saison – depuis que le service de vidéo à la demande s'est lancé dans la création originale en 2013. Une deuxième saison a été commandée pour cette fiction dramatique dans laquelle l'acteur australien Ben Mendelsohn est remarquable.
En surface, « Bloodline » est une série sur les liens du sang, sur cet attachement ineffaçable entre les membres d'une fratrie, qu'ils le souhaitent ou qu'ils le regrettent. Il n'est pas en leur pouvoir de modifier cette dimension de leur vie et par extension, il n'est pas en leur pouvoir de maîtriser tout à fait leur destin. Leur sort est scellé au jour même de leur naissance et de leur arrivée dans la famille qui servira de cadre à leur existence pour le meilleur ou pour le pire.
« Bloodline » repose d'abord sur un constat fataliste : on ne choisit pas les siens, on les accepte ou on les rejette. Le temps, qui fait peu à l'affaire, n'autorise que des ajustements. On s'accommode, on trouve une manière de vivre ensemble que l'on soit proche ou que l'on soit éloigné. Le désintérêt et la séparation peuvent aider à supporter le passé commun, mais ils ne sont jamais une solution car les souvenirs ne peuvent être mis à distance.
C'est de cette manière que débute la série. Avec le retour de Danny Rayburn (Ben Mendelsohn), aîné d'une famille de quatre enfants, devenu un paria parmi les siens. Rejeté par son père Robert (Sam Shepard), aimé en silence par sa mère Sally (Sissy Spacek), toléré par son frère John (Kyle Chandler), méprisé par son benjamin Kevin (Norbert Leo Butz) et incompris par sa sœur Meg (Linda Cardellini).
Danny revient au paradis. Dans la propriété que ses parents ont depuis cinquante ans transformée en un lieu de villégiature de rêve en Floride. Une résidence qui accueille des touristes voulant fuir la foule et profiter d'une plage privée au sable blanc et à l'eau émeraude. Les Rayburn vont être honorés dans quelques jours par l'inauguration d'un ponton à leur nom. C'est l'occasion de faire une fête, de se retrouver et d'inviter le passé.
Celui-ci s'impose alors comme un personnage à part entière, une ombre qui suit Danny pas à pas comme si elle était la sienne. Une ombre qu'il semble projeter sur tout ceux qu'il approche. Il y a quelque chose en lui qui éteint la lumière, qui assombrit le soleil aveuglant des Keys et les reflets d'argent de l'océan. Longtemps, la solution a été que l'aîné des Rayburn se tienne en dehors du cercle, qu'il soit physiquement absent.
Mais cela n'a rien résolu, cela n'a pas permis d'atténuer les souvenirs car ce qui n'est pas immédiatement visible continue malgré tout d'exister, même si chacun fait tout pour se convaincre du contraire. Comme ils l'avaient fait dans « Damages », les créateurs de « Bloodline » posent leur récit sur trois lignes de temps : le présent est jalonné de flashbacks expliquant peu à peu la situation de Danny et de flashforwards qui annoncent la conclusion de la saison.
Répartition des rôles
Cette dynamique temporelle fournit la colonne vertébrale des 13 épisodes et assure le rythme d'une histoire qui se déroule presque en huis clos. La propriété familiale est le cadre principal de l'action qui ne dépasse guère les limites du comté de Monroe, dans lequel John est enquêteur au bureau du shérif.
Le retour de Danny annonce les retrouvailles entre le mauvais fils et le bon fils. John va attendre son frère à l'arrêt de l'autocar et l'on comprend sans que cela soit dit qu'aucun autre membre de la famille n'aurait pu accomplir cette tâche. Cette mise en place des personnages annonce les développements ultérieurs : l'enjeu de l'histoire réside dans le face à face entre l'aîné et son cadet.
Il y a bien sûr une dimension biblique dans « Bloodline », mais elle est seulement suggérée car elle ne sert que de prétexte. L'ambition des Kessler et de Zelman réside ailleurs. Tout l'affrontement qu'ils mettent en scène entre le Bien et le Mal n'a qu'un seul but : effacer les repères habituels, inverser les polarités, remettre en cause les préjugés et les certitudes sur qui est bon et qui est mauvais.
Si la série a une prétention, c'est celle-là. Transcender ces notions éternelles qui habitent la fiction dramatique. Ce que disent les créateurs est que le Bien et le Mal sont des positions relatives au point de vue et que le libre arbitre est en grande partie une illusion car l'identité de chaque membre d'une famille lui est fournie par les autres.
John est convaincu d'être le bon fils. Non qu'il l'ait choisi. Les choses se sont faites comme cela. John est convaincu que Danny est le mauvais fils, celui qui n'a cessé de remettre en cause la paix familiale. Danny est convaincu qu'il aurait pu être bon lui aussi, les autres ne lui ont pas donné cette chance.
Au fond d'elle-même, « Bloodline » est une série sur l'attribution des rôles inhérente à toutes les familles. Cette répartition ne relève pas du choix personnel mais des hasards (un peu) et des attentes des autres (beaucoup). Et parfois, au nom de ces attentes ou au nom de ce qu'on imagine qu'elles sont, on fait de mauvaises choses en se disant qu'on a de bonnes raisons. C'est tout le sens de la remarque que John adresse à Danny : «
You are right about everything. I let the family scapegoat you. I did. »
Cette répartition des rôles devient les tables de la loi familiale. Elle est intangible et ne peut être réécrite. Peu importe que Danny soit revenu ou qu'il s'en aille. Ici ou ailleurs, il sera toujours le paria. C'est tout le sens de sa réponse à John : «
I'm not leaving. » Son refus n'est pas un caprice d'enfant, il est le constat désolé d'un homme mûr.
L'élasticité de la mémoire
Parvenu au bout de son désespoir, Danny n'attend plus le pardon des siens. Il est au-delà de cela. La seule chose qui l'incite à agir est le désir forcené qu'un instant, juste un instant, son frère se mette à sa place, que l'espace d'une seconde les rôles soient échangeables. «
I want you to know how it feels like to have to beg, to have to go for your whole life apologising for everything. »
Pour son malheur, la demande de Danny ne peut pas être satisfaite. D'abord parce que cela est impossible, même en faisant preuve de compréhension et de compassion. Ensuite parce que cela remettrait en cause le passé, et avec lui tout ce sur quoi est fondée la famille Rayburn. Et dans le cas de John, tout ce sur quoi est fondée sa propre famille. Peu importe si ces fondations sont faites d'injustice, d'approximations, de mensonges commandés et d'une féroce envie d'oublier.
« Bloodline » est une série sur la relativité du souvenir. La mémoire n'est pas seulement une succession d'images communes (encadrées et accrochées au mur d'un bureau) que l'on entend conserver et que l'on convoque au gré des occasions. Elle est une construction, elle est un point de vue personnel et dans le cas présent, elle est un choix que l'on impose aux autres et avec lequel ils doivent vivre. C'est cette relativité, cette malléabilité, cette « élasticité » dont parlait Daniel Holden, le héros de
« Lien retiré ».
C'est aussi un jeu des apparences si bien montré dans
« Lien retiré », la très belle série d'Hagai Levi et de Sarah Treem diffusée cet automne sur la chaîne câblée Showtime. Chacun possède sa vérité qui ne recouvre jamais parfaitement celle de l'autre. Et lorsque les divergences dépassent les points communs, surgit l'incompréhension et avec elle l'affrontement.
Lentement, « Bloodline » nous dévoile cette incompréhension et joue avec nos préjugés. Elle remet en cause nos premières impressions, elle nous oblige à réviser notre jugement. Le véritable héros n'est pas John mais Danny, c'est lui qui nous interroge et nous interpelle, c'est lui qui fait vaciller nos certitudes.
Ben Mendelsohn occupait un rôle aux contours similaires dans
Animal Kingdom(2010). Il porte les 13 épisodes avec l'aide de Kyle Chandler duquel on gardait surtout l'image positive du coach Taylor dans
Friday Night Lights.
(
Photos: Netflix. Dessin: Martin Vidberg)