Claude Nicolet : Je ne résiste pas au rappel d’un certain nombre d’arguments utilisés par les partisans du Traité de Maastricht en 1992. Tout d’abord parce qu’il est toujours utile de se souvenir de ce qui a été dit. Cela permet des mises en perspectives étonnantes. Ces citations proviennent du livre Maastricht, le bêtisier.
Au regard de l’actualité de ces derniers jours et au delà de celle que nous vivons depuis des années au niveau économique et social, ces affirmations laissent bien souvent un goût très amer, voire un vrai trouble. On ne peut se défaire du sentiment complètement justifié « qu’on s’est bien fait avoir ». Et que ça continue.
« Au-delà des considérations techniques, la création d’une monnaie unique en Europe a une signification plus profonde. C’est la naissance d’un langage commun.» (Jean Boissonnat, L’Expansion, 3 septembre 1992). Il est vrai que désormais nous parlons tous d’une seule et même voix.
« Oui, pour aller de l’avant dans les conquêtes sociales, il n’est d’autre avenir que la Constitution de l’Europe. » (Julien Dray, Assemblée nationale, 6 mai 1992). La pression sur les salaires, sur les retraites, les délocalisations, les privatisations…ça doit être ça le progrès social aujourd’hui ?
« Mon raisonnement est profondément social-démocrate. À vrai dire, je n’ai pas encore compris pourquoi les libéraux veulent de cette Europe-là » (Michel Rocard, Libération, 3 août 1992). Moi je n’ai pas été Premier ministre mais j’ai compris pourquoi les libéraux ont voulu et veulent toujours plus de cette Europe là…
« Le traité de Maastricht agit comme une assurance-vie contre le retour à l’expérience socialiste pure et dure. » (Alain Madelin à Chalon-sur-Saône, 4 septembre 1992). Lui aussi il a compris et il est toujours libéral…
« Un NON au référendum serait pour la France et l’Europe la plus grande catastrophe depuis les désastres engendrés par l’arrivée de Hitler au pouvoir. » (Jacques Lesourne, Le Monde, 19 septembre 1992). Le 29 mai 2005 après cette magnifique victoire du NON, je n’ai pas vu déferler dans nos rues de hordes hitlériennes. Et vous? En revanche le OUI l’a emporté à Maastricht, on nous a imposé le traité de Lisbonne et partout l’extrême droite fait des « cartons ».
BHL envisage que le NON l’emporte :
« M. De Villiers, donc s’installa à l’Élysée. […] Le NON français à Maastricht fut interprété, de fait, comme un encouragement aux nationalismes. Il relança la guerre dans les Balkans .[…] Si bien que, sans aller, comme certains, jusqu’à imputer à ce maudit NON le soulèvement transylvain, la nouvelle guerre de Trente ans, entre Grèce et Macédoine, les affrontements entre Ossètes du Nord et du Sud, puis entre Russes et Biélorusses, bref, sans aller jusqu’à lui attribuer toutes les guerres tribales, ou para-tribales, qui enflammèrent l’Europe de l’Est, on ne peut pas ne pas songer que c’est lui, et lui seul, qui offrit à Berlin l’occasion de son nouveau Reich. » (Bernard Henri Lévy, Le Figaro, 18 septembre 1992). Sauf que le OUI l’a emporté, que ça n’a pas n’empêché l’Allemagne de jouer son jeu en Europe centrale, d’imposer ses vues dans le fonctionnement des institutions européennes, d’interdire toute réforme de la BCE, de réclamer des abandons de souveraineté et que BHL ait obtenu « sa » guerre contre Kadhafi en Lybie…
« Maastricht constitue les trois clefs de l’avenir : la monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité ; la politique étrangère commune, ce sera moins d’impuissance et plus de sécurité ; et la citoyenneté, ce sera moins de bureaucratie et plus de démocratie » (Michel Rocard, Ouest-France, 27 août 1992). Oui Michel, trois grandes réussites…
« Si le Traité était en application, finalement la Communauté européenne connaîtrait une croissance économique plus forte, donc un emploi amélioré. » (Valéry Giscard d’Estaing,RTL, 30 1992). Mais ils ont fait quoi comme écoles pour dire des choses pareilles ?
« Le traité d’union européenne se traduira par plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité. » (Michel Sapin, ministre des finances, Le Figaro, 20 août 1992). Celle là n’est pas mal non plus.
« L’Europe, ce sera plus d’emplois, plus de protection sociale et moins d’exclusion. »(Martine Aubry à Béthune, 12 septembre 1992). Ah Martine…
« Si vous voulez que la Bourse se reprenne, votez OUI à Maastricht ! » (Michel Sapin, université d’été du PS à Avignon, 31 août 1992). J’espère que Michel Sapin a obtenu le prix de l’humour en politique cette année là… En ce qui me concerne je ne savais pas que la bourse défendait les intérêts des salariés. Et vous ?
« Pour pouvoir dîner à la table de l’Europe [monétaire], encore faut-il savoir se tenir à cette table et ne pas manger avec ses doigts. […] Si la monnaie unique a un mérite, et un seul, c’est d’obliger les pays à se conduire correctement. » (Jean-Marc Sylvestre, France Inter, 18 septembre 1992). Ah les vilains pays !
« Ce n’est pas un hasard si la construction européenne doit plus aux raisonnements des élites qu’aux impulsions des peuples. Elle est le fruit d’une longue méditation sur l’Histoire. C’est un produit culturel. Non un élan irréfléchi, un hoquet des masses, arraché dans un mouvement de foule ou une improvisation d’éloquence. » (Jean Boissonnat, L’Expansion, 3 1992). Vive les élites qui nous ont conduit jusqu’au paradis européen, contre les méchants peuples débiles, néo-fascisants, hoquetant voire avinés. Ah que Monsieur Boissonnat aime ce peuple qui lui permet d’être ce qu’il est.
« Tout le contenu du nouveau traité est depuis plus de vingt ans inscrit en lettres d’or dans nos stratégies industrielles. » (Antoine Riboud, PDG de Danone, Libération, 7 mai 1992). Les délocalisations ? La désinflation compétitive ? La pression sur les salaires ? La dictature de l’actionnariat ? Tout ça déjà prévu ? Non, je ne peux pas le croire!
« La création de cette monnaie européenne n’aura rien d’automatique […]. En outre, chaque Etat conservera la maîtrise de sa politique budgétaire et fiscale, dans des limites qui ne seront pas plus étroites que celles d’aujourd’hui. » (Edouard Balladur 29 avril 1992, Le Monde). J’ai gardé la meilleure pour la fin. Cet Edouard! Quel joyeux compagnon. Je vous le recommande pour animer vos banquets. Toujours le mot pour rire, plein de subtilité, de légèreté. Surtout quand il raconte ces blagues sur la Grèce, ou le Portugal, ou l’Espagne, ou l’Irlande, ou la Belgique….