Aux Etats-Unis, les affaires de moeurs sont prises très au sérieux
LE MONDE du 17 mai 2011
Washington Correspondante - Aux yeux des Américains, les Français ont une étonnante tendance à fermer les yeux sur les frasques de leurs hommes politiques. Aux yeux des Français, les Américains sont des puritains qui n'ont pas grand respect pour la vie privée des personnages publics. Dans le domaine de la politique et du sexe, les incompréhensions transatlantiques sont complètes. Badinage ici, harcèlement sexuel là-bas, même si l'affaire de New York relève bien évidemment d'une tout autre logique, de nature criminelle.
Pour la journaliste du New York Times Elaine Sciolino, l'affaire Strauss-Kahn n'aurait "pas pu se produire aux Etats-Unis" : s'il avait été américain, l'ancien ministre ne serait probablement pas parvenu à la tête du Fonds monétaire international (FMI). Les journaux se seraient lancés dans "des investigations complètes" sur le caractère de séducteur - parfois brutal - qui lui est prêté depuis longtemps. "La question n'est pas tant "Est-ce qu'il a une liaison ?" que "Existe-t-il un mode de comportement qui se répète depuis des années ?"", souligne-t-elle.
La journaliste, qui a dirigé le bureau du New York Times à Paris, publie début juin un livre sur la séduction en France (La Séduction, éd. Henry Holt). Une partie est consacrée aux moeurs politiques. "Je suis peut-être puritaine, reconnaît-elle, mais je suis toujours surprise par le respect observé en France pour la vie privée des hommes politiques. Aux Etats-Unis, quelqu'un comme Frédéric Mitterrand n'aurait pas pu survivre au scandale."
A Paris, Elaine Sciolino a souvent entendu les rumeurs de harcèlement sexuel concernant Dominique Strauss-Kahn. Elle a demandé à ses collègues français pourquoi ils n'enquêtaient pas au lieu de se borner à se citer les uns les autres pour éviter les procès. Ce n'est pas dans les habitudes, a-t-elle compris. Aux Etats-Unis, les organes de presse détachent des équipes entières pour recueillir des témoignages. "Si on ne peut pas publier, on n'écrit rien mais on continue à chercher."
Une affaire remontant à 2002 est ressortie en 2007 puis en 2008 : la jeune romancière Tristane Banon a affirmé avoir été brutalisée lors d'une interview de Dominique Strauss-Kahn qu'elle était venue recueillir à l'adresse qu'il lui avait indiquée. Elle n'avait pas porté plainte - DSK était un proche de sa famille - mais sa mère, qui se trouve être Anne Mansouret, la vice-présidente socialiste du conseil général de l'Eure, a confirmé l'agression dimanche à FR3 Normandie. Elle l'a comparée à un "acte de prédation".
En octobre 2008, un an après son arrivée au FMI, le Wall Street Journal a "sorti" sa liaison avec une cadre hongroise du FMI, Piroska Nagy. Un mois plus tard, DSK a été blanchi des soupçons de favoritisme mais a reconnu une "erreur de jugement".
Beaucoup, en France, ont crié au coup monté pour discréditer le directeur général, à un moment où se décidaient les mesures de lutte contre la crise financière internationale. Et ils ont mis au compte de la pruderie américaine le fait qu'une relation entre adultes consentants ait provoqué pareil scandale. Mais dans une lettre, la fonctionnaire hongroise avait néanmoins mis en doute la capacité de M. Strauss-Kahn à "diriger une organisation où travailleraient des femmes".
Les Américains jugent normal d'être informés des écarts de leurs responsables. L'homme politique a passé un contrat avec sa femme, sa famille et les électeurs, explique Elaine Sciolino. "S'il viole le contrat avec son épouse, comment peut-on être sûr qu'il le respectera avec les Américains ?" Dans les médias, il n'existe pas de règle intangible. Sur qui enquête-t-on ?
Les journaux réagissent "au cas par cas". Ils sont plus agressifs s'il s'agit d'un candidat à la Maison Blanche, dit-elle. Au risque d'utiliser des méthodes contestées comme l'emploi de sources anonymes en 2008 par le New York Times dans un article sur le républicain JohnMcCain. Le journal évoquant sa "proximité" avec une lobbyiste dans des sous-entendus qui ont été jugés peu concluants.
Corine Lesnes
En 2008, une mise en cause au sein du FMI
Le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, avait vu sa carrière au sein de l'institution financière menacée en 2008 à la suite d'une liaison avec une subordonnée, avant d'être blanchi de toute accusation d'abus de pouvoir. En octobre 2008, le conseil d'administration du FMI avait révélé avoir mandaté un cabinet d'avocats privé pour enquêter sur la liaison de M. Strauss-Kahn avec une économiste hongroise, Piroska Nagy, qui avait été en poste au département Afrique du FMI. Le 25 octobre L'institution blanchit son patron de toute accusation d'abus de pouvoir, estimant qu'il n'y "a pas eu de harcèlement, ni de favoritisme ni aucun autre abus de pouvoir" de la part de M. Strauss-Kahn. DSK a reconnu avoir commis "une erreur de jugement". - (AFP.)
Deux précédents scandales sexuels
Moshé Katsav L'ancien président d'Israël, Moshé Katsav, 65 ans, a été jugé coupable de deux viols sur une subordonnée, par le tribunal de Tel-Aviv, le 30 décembre 2010. Les faits remontent à l'époque où il était ministre du tourisme, dans les années 1990. Il a été condamné à sept années de prison.
Pendant la procédure, qui a duré quatre ans, M. Katsav s'était posé en victime d'une opération de "lynchage médiatique".
Moshé Katsav a occupé la charge symbolique de président d'Israël entre 2000 et 2007 avant sa démission forcée. Il a aussi été reconnu coupable de harcèlement sexuel à l'égard de trois autres employées du ministère du tourisme et de la présidence.
Jacob Zuma Le responsable de l'ANC, en Afrique du Sud, est acquitté en 2006, faute de preuves, dans l'affaire du viol d'une jeune femme séropositive.
Un an plus tard, en 2007, Il devient le chef de l'ANC face à son rival, le président de la République, Thabo Mbeki, auquel il succède en 2009 à la tête de l'Afrique du Sud.