Dans la Gendarmerie, c est pas simple non plus...
"L'interrogatoire est sec. Rythmé. Intense. Face à la présidente du tribunal, le maréchal des logis-chef vacille. Depuis quelques secondes, la magistrate a commencé à lui rappeler quelques-uns des termes qu’il est accusé d’avoir employés à intervalles réguliers à l’égard d’une « mono-galon » (poste en bas de la hiérarchie) de sa gendarmerie de Joigny (Yonne) :
« Je te niquerais bien »,
« Quand est-ce qu’on baise ? »,
« Je vois bien tes dents autour de ma bite »,
« Je te niquerais bien parce que vous les Noirs, il paraît que c’est rose à l’intérieur »,
« J’aimerais voir tes rustines et mordiller tes tétons », etc. À chaque fois ou presque, il y a eu des témoins. La présidente enchaîne, Ludovic répond à peine.
- La gendarmerie, c’est pas
Secret story quand même. Vous comprenez que ça puisse choquer ?
- Oui.
- Alors ?
- …
- Vous parlez des attributs masculins de la même manière ?
- Non.
- Vous pouvez m’expliquer la différence entre les fesses d’un gendarme et les fesses d’une gendarme ? Pour les hommes aussi, vous employez le mot « cul » ? Nous siégeons dans ce tribunal à compétence militaire, nous savons bien qu’à la gendarmerie, il n’y a pas une ambiance de couvent. Mais quand même. Est-ce que vous parlez du cul du capitaine ? Est-ce que vous lui faites un bisou tous les matins ? Pourquoi vous embrassez le personnel féminin ?
- Ça fait 17 ans que j’exerce, 17 ans que je fais la bise aux femmes, répond Ludo, qui aurait tenté de transformer la bise en baiser sur la bouche.
- Mais est-ce que vous faites la bise aux femmes supérieures hiérarchiques ?
- Ah non, là on serre la main.
- Et pourquoi vous n’avez pas ce même respect pour Mélanie (1) ? Vous n’êtes pas dans un club de rencontres. Vous n’avez pas besoin d’une telle proximité ?
- Non.
-
« Je te boufferais bien la rustine, t’as de gros seins. » Mais comment un gendarme peut-il tenir de tels propos ? Que pensez-vous d’une femme dont le supérieur hiérarchique lui parle constamment de ses seins ?
- Elle est choquée.
- Pourquoi avoir continué ?
- C’était un échange. Elle rigolait.
- Un échange ? Elle a fait des remarques sur votre postérieur ? Non ? Peut-être parce que vous étiez son supérieur hiérarchique ? Vous faites face à une jeune Réunionnaise qui a tout quitté, toute sa famille, traversé le monde entier pour faire l’école de la gendarmerie, son rêve, et elle tombe sur vous… Vous avez vraiment dit :
« Dans la gendarmerie, y a pas que le boulot, il y aussi la famille et le sexe » ?
- Et le sport.
- Ah. Pour vos comportements, on parle d’actions répétées dans le temps. Vous êtes OPJ (officier de police judiciaire). Vous avez déjà ouvert un code pénal. Vous avez lu la définition du harcèlement sexuel ? Est-ce que ça correspond à votre comportement ?
- Oui.
- Vous reconnaissez donc le harcèlement sexuel ?
- Je le reconnais.
La présidente est arrivée à ses fins. Mélanie aussi. Cette phrase, enfin prononcée, est l’aboutissement de plusieurs années de
« combat ». Aucune histoire de harcèlement sexuel n’est simple. Il est toujours difficile de parler, par peur de ne pas être crue, d'en payer le prix.
« Mais c’est particulièrement vrai chez les militaires », expliquera la procureure. L’autorité y est encore plus forte qu’ailleurs. Mélanie craignait, en parlant, de sacrifier sa carrière.
Et d’ailleurs, elle a eu le plus grand mal à se faire entendre. Sa première plainte, un gradé de gendarmerie a tenté de la dissuader de la déposer. Puis on a voulu la réduire au minimum. Pendant l’enquête, les principaux accusés ont eu accès au dossier : ils ont pu dire à leurs camarades d’ajuster les témoignages. Rien n’a été simple. La satisfaction n’en est que plus grande."
...
" « Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. » À ceux qui l’auraient oublié, elle rappelle qu’il n’y a pas besoin d’acte. « Sinon, ce n’est plus du harcèlement. Mais une agression sexuelle. » "
...
"Elle requiert donc un an de prison avec sursis pour chacun d'entre eux. Une interdiction de cinq ans d’exercer le métier pour Julien. Et une interdiction à vie pour Ludovic. Le jugement a été mis en délibéré au 5 avril."
Article mediapart