Bonjour,
La formation intégrée à 20 ans est juste une illustration, mais c'est quand même troublant que dans certaines familles on fasse le même type de boulot et de formation depuis Napoléon III au moins... Les "coups de pouce familiaux" c'est tout au long de la vie de la personne.
On peut parler d'une méritocratie sur plusieurs générations, mais on ne peut pas passer de "vient d'une famille de base" à " grand patron" sur une seule vie.
On va prendre un exemple d'évolution au cours du temps pour illustrer:
18 ans prépa:
- N°1 vient de passer son bac en étant brillant, il postule à la prépa du coin car il ne sait même pas que selon la préparation on aura plus ou moins facilement un rang sympa au concours. Personne n'est là pour le conseiller, puisqu'il ne connait personne qui a fait ça avant.
- N°2 vient de passer son bac en étant bon (en province proche de l'usine de papa ou à Paris proche du bureau de papa on s'en fout). On lui conseille de postuler à la prépa qui va bien pour optimiser son rang au concours.
20 ans intégration:
- N°1 intègre une école moyenne +, ce qui est bien pour sa classe (dans le top 10%).
- N°2 intègre la même école, en étant dernier de la classe. Son grand-frère et son papa avaient mieux fait, comme papy, en gros il déroge.
23 ans 1° boulot:
- N°1 trouve un boulot facilement en production dans le trou du cul du monde. Il est formé pour, il est content, il fait bien l'affaire. Au pire il fait un ou 2 ans de presta pour se faire connaitre et être embauché par son client.
- N°2 est pistonné pour être le larbin d'un grand chef collègue de promo de papa, embauché direct (préparateur de réunion et de power point).
30 ans:
- N°1 s'est fait peu de contacts "utiles" pour la suite de sa carrière mais c'est devenu un professionnel reconnu dans son domaine. On lui propose la place de son chef. Il s'est marié avec une fille du coin de son usine, qui au mieux est dans la même situation que lui (au pire moins bien).
- N°2 a eu le temps de "sucer" tous les chefs en haut de l'organigramme, il est classé comme haut potentiel par la boite, on lui paie même le MBA qui va bien. On ne se pose pas la question de ses qualités en rapport avec son métier (ingénieur), mais on parle de ses qualités de manager... Il s'est marié avec une fille du marketing/événementiel qui vient du même milieu que lui et qu'il voit tous les jours à la machine à café, ce qui lui permet de récupérer le réseau de beau-papa.
40 ans:
- N°1 va progresser gentiment à son rythme, et fera une carrière honorable, mais ne sera jamais en haut de l'organigramme d'un grand groupe. Il a 2 solutions: ou il part en PME pour être libre avec une grosse prise de risque ou il reste dans un grand groupe à suivre la grille d'évolution correspondant à son école.
- N°2 est classé top manager, il a pris 2 rangs hiérarchiques d'un coup, son collègue de promo est définitivement distancé.
50 ans:
- N°1 compte les jours avant la retraite, et espère pouvoir mieux aider son fils pour le mettre dans la situation de N°2 (si il y arrive, sinon ça sera son petit-fils).
- N°2 est un patron, fait des gros sous et a rattrapé une position qui correspond à son rang familial.
Rémi
Je me retrouve tout a fait dans la description de Remi.
Des parents classe moyenne (employes banque et PTT).
On me répète de bien travailler bien a l’école. "Pourquoi faire?" "Comme ca tu pourras toucher un meilleur salaire quand tu seras grand."
J'avais beaucoup de facilites a l’école, mes parents n'ont jamais eu a vérifier mes devoirs (jusqu'en 4eme mes devoirs étaient quasiment termines a l’école avant de rentrer a la maison. En 6eme -5eme mon collège libérait une classe surveillée pendant 45 min après le déjeuner pour pouvoir étudier. La majorité faisait les devoirs dus pour l’après-midi meme, alors que je faisais les devoirs qui venaient de nous être donnes le matin meme).
En gros, j'etudiais parce que j'aimais ça et que c'etait facile. Mes parents ne me posaient jamais de questions sur ce que j'apprenais a l’école. Je me rappelle de rares fois ou je demandais de l'aide a mon père car j'avais une redac a faire et que j'avais besoin d’idées.
Ensuite, entree au lycee ou je m'empresse d'abandonner ma LV2 et de faire le plein d'options geek (informatique, technologie).
En terminale, j'avais un bon dossier donc mon prof de physique me dit de postuler pour un classe prepa. Quesako?
"C'est pour faire une école d'ingénieur". "Ah...et ca fait quoi un ingénieur?". Réponse embarrassée du prof: "Euh...ca developpe des produits, ca reflechit, ca fait des maths et de la physique. De toute facon, tu ne vas quand meme pas aller en fac perdre ton temps!"
Ah, vu comme ca, je vais postuler alors. (sinon, j'ai vu voir la conseillere d'orientation une seule fois, et elle ne m'a ete d'aucune aide). Et puis, les autres geeks font ca, donc ca doit etre bon. Et comme les classes prepa sont gratuites, pas de scrupule a essayer.
Entree en classe prepa: les maths ne sont plus aussi "fun" qu'avant, incroyable que d'une annee sur l'autre on passe de 18/20 a 3/20.
Comme tous les autres, je serre les dents, il y en a 3 qui abandonnent des la fin de la 1ere semaine pour partir en fac.
Deuxieme annee: je me promets de ne pas redoubler et d'en finir coute que coute (quelle que soit l'ecole obtenue). En effet, je suis boursier, mais mes parents doivent m'aider pour certaines dépenses. Mes parents me font comprendre que ca serait bien si je pouvais voler de mes propres ailes, surtout que j'ai une petite soeur partie elle aussi pour faire de longues etudes. De plus, si je redouble, j'ai peur de perdre ma bourse. (quant a bosser au Macdo, en classe prepa on peut oublier).
A l'issue des concours, j'obtiens une ecole reconnue a l'issue des oraux. Les autres ecoles ne sont pas super bien classées.
Le cursus de cette école d'inge? Je ne le connais pas: je prends cette école car c'est la mieux classée.
Ensuite, c'est ecole d'inge pendant 3 ans. Il y a des etudiants qui viennent d'IUT, de BTS aussi. Ils rament au début, alors que ceux qui viennent de prepa décompressent totalement et ne foutent plus rien. Il n'y a que 20% des cours qui m’intéressent. Les UV se valident facilement même en ne venant pas en cours. Bien sur, l'ecole essaie de nous garder sous pression en "ecremant" quelques eleves chaque annee (ceux qui sont au bar de l'ecole 24h/24). L'ecole propose des double-diplomes a l'etranger pour "les meilleurs eleves": c'est surtout pour les eleves nantis car ca coute extrêmement cher. Je ne postule donc a aucun double-diplome et prefere m'inscrire aux cours de chinois que l'ecole a decide de mettre en place.
Il faut faire des stages en fin de 1ere et de 2eme annees. Je n'ai aucun reseau, mes parents non plus, ma famille au sens large est peuplee de fonctionnaires. J'envoie des CV, je rame beaucoup,et me retrouve dans des entreprises qui sont en difficulté et qui ne pourront me proposer d'embauche a l'issue de mes études.
En 3eme annee, il faut faire un projet de fin d'etudes, et celui-ci peut etre fait a l'etranger. Apres prise de renseignements, l'ecole fournit une bourse donc ca ne coute rien aux etudiants. Je m'empresse de faire une demande pour faire mon PFE en Chine. Malgre mes notes moyennes (cursus qui m’intéressait moyennement + decompression prepa), le fait que j'ai commence a étudier le chinois joue en ma faveur et je suis selectionne avec un autre gars pour partir a Shanghai pour 4 mois.
Retour en France: validation du diplôme, je suis officiellement inge et je me mets a chercher du boulot, sans réseau et sans "passion" particuliere (j'avais des potes qui voulaient bosser dans l'automobile depuis qu'ils avaient 4 ans, d'autres qui voulaient construire des bateaux). Moi je voulais n'importe quoi, du moment qu'on me donne des problèmes a résoudre et que mon cerveau soit utilise.
Apres 6 mois de recherches infructueuses, je retourne en Chine et trouve du boulot rapidement. Ça fait 12 ans. Carrière plutôt réussie pour l'instant.
J'ai des potes, qui malgre leur double-diplome a l'etranger, ont decide de continuer a etudier et rempilent pour 1 ou 2 ans (IAE, IFP, MBA etc). Ils venaient de familles aisées parisiennes et pouvaient continuer a habiter chez Papa-Maman.
Apres BAC+6/7, ils sont embauches par des boites du CAC 40.
Donc en conclusion de ce post:
Carence socio-professionnelle:
- J'avais des parents qui ne pouvaient pas aider mon orientation scolaire et professionnelle (pere niveau bac, mere niveau CM2)
- 75% de mes proches sont fonctionnaires, donc aucune idee du marche du travail. Culture concours uniquement.
- Je n'ai jamais entendu parler d’écoles d’ingénieurs publiques avec prepa intégrée (les ecoles privees nous ont bien demarchees, mais trop cheres pour mes parents) qui m'auraient mieux convenu.
- Je n’étais moi-même pas dans une orientation "active" en fonction d'un emploi rêvé enfant, mais je suis alle la ou j'avais des prédispositions (maths, physique)
Carence financiere:
- J'aurais certainement pu integrer une ecole d'inge mieux classee et plus a mon gout si j'avais refait une 2nde annee de prepa. Ce que je n'ai pu faire a cause des moyens financiers de ma famille.
- J'aurais pu intégrer des cursus double-diplomes ou meme un MBA qui auraient grandement embelli mon CV et facilite mes recherches d'emploi
Je fais différemment avec mes enfants:
- je ne les incite pas a être les meilleurs a l’école, jusque pour le classement, mais je suis leurs devoirs pour montrer que cela m’intéresse.
- je les incite a découvrir une passion particulière
- j'essaie de les intéresser a leur futur, de leur expliquer des éléments du monde du travail.
- j'essaie de mettre de cote pour leurs études supérieures afin qu'ils ne soient pas trop brides dans leur choix