La guerre peut resurgir en Europe occidentale par Serge GalamPhysicien, directeur de recherche émérite au CNRS et au Cevipof (Sciences Po)
6 juin 2024La paix règne depuis plusieurs décennies en Europe occidentale mais la guerre, déclenchée par l’invasion russe de l’Ukraine, est de retour à ses frontières de l’est. Elle y avait d’ailleurs déjà éclaté, tout en y restant confinée, entre et au sein de plusieurs États post-soviétiques.
Extrait de l'analyse : La guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine s’inscrit dans la même continuité de réorganisations des alliances entre des pays qui pourtant ont été unis au sein de la même fédération pendant plusieurs décennies. À l’inverse, la paix a continué de prospérer à l’ouest. Pourquoi une telle différence ? Et cet état de paix entre pays de l’ouest est-il pérenne ?
Une paix éternelle en Europe de l’Ouest?
La grande majorité des réponses à cette question reposent essentiellement sur l’argument assez simple d’un désir de liberté et d’indépendance des pays concernés face à une domination russe qui s’est imposée à eux dans le cadre de l’Empire russe. Mais aussi, parce que les relations entre ces États désormais indépendants ont été gelées pendant toute la période soviétique, et que les tensions et rivalités préexistantes se sont réactivées après la dissolution de l’ URSS. À l’inverse, les pays d’Europe de l’Ouest auraient évolué de façon consensuelle et apaisée en élimant leurs anciennes rivalités agressives et en se dotant d’instances de régulation, au premier rang desquelles la CEE devenue UE. Le risque de guerre entre ces pays aurait donc définitivement disparu.Mais est-ce si certain ? La question mérite d’être posée avec des élections européennes laissant présager des victoires importantes de groupes eurosceptiques dans de nombreux pays de l’UE. Pour l’heure, ceux-ci ne demandent pas de quitter l’UE, mais ils insistent tous pour obtenir un affaiblissement significatif de ses prérogatives en termes de régulations imposées aux États membres. Le recouvrement d’une souveraineté nationale est l’horizon de ces groupes, avec pour corollaire une réduction des structures de décision et d’implication européenne.
Le danger existentiel d’un tel agenda réside dans la méconnaissance de ce qui produit et détermine les alliances et les conflits entre États. En effet, un examen des mécanismes à l’œuvre dans la dynamique de fragmentation/alliance entre pays, à partir d’un modèle de sociophysique, indique qu’un affaiblissement de l’UE augmentera fortement le risque d’une résurgence des oppositions historiques entre ses membres, ce qui pourrait déboucher sur de nouvelles guerres comme il y en a eu à l’Est avec la dissolution de l’Union soviétique. En particulier, un affrontement direct entre la France et l'Allemagne redeviendrait sérieusement envisageable dans un avenir à moyen terme.
On pourrait s'offusquer d'un tel propos qui laisserait croire que l'amitié franco- allemande n'est pas une réalité tangible et indépendante des aléas de l'existence de l’UE. Et pourtant c’est ce que montre le modèle de sociophysique. Sans l’Union européenne, les deux peuples ne seront plus l'abri d’un aventurisme militaire de l'un contre l'autre.
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