Poutine en Syrie : le judoka de la géopolitique
FIGAROVOX/ANALYSE - Les frappes se poursuivent en Syrie. Pour Alexis Feertchak, le Président russe est parvenu à se rendre indispensable au réglement du conflit, en mettant en évidence les incohérencesde l'Occident.
Extrait : Alors que la plupart des médias accusent régulièrement la Russie de viser les «rebelles» plutôt que Daesh et de frapper sans grande distinction cibles civiles et militaires, le journal de 20h de France 2 du 4 février a réalisé un reportage sur la précision chirurgicale des frappes de la coalition internationale contre l'État islamique. Sauf que les images mises en avant par France 2 sont celles de … frappes russes publiées auparavant sur le site du ministère russe de la Défense. L'erreur est certes anecdotique, mais elle révèle en creux les errances de la stratégie occidentale au Moyen-Orient, aujourd'hui prise dans le piège d'une dangereuse alliance avec l'islamisme de plus en plus vindicatif de la Turquie de Recep Erdogan et des puissances du Golfe. Le double jeu de celles-ci apparaît au grand jour, laissant les Occidentaux au pied du mur.
" Vladimir Poutine fait en sorte que les Kurdes, lassés, se tournent à leur tour vers Moscou."
En judoka averti, Vladimir Poutine préfère s'appuyer sur la faiblesse de ses adversaires pour parvenir à ses fins le plus aisément possible. Soutenu militairement par l'Iran, mais aussi diplomatiquement par la Chine, le président russe veille avec attention à la conservation du régime de Bachar el-Assad pour que ce dernier finisse par devenir de facto le seul rempart contre l'État islamique. Mais ce n'est pas tout. Fort du différend entre la Turquie et les Kurdes, qui sont ennemis intimes mais chacun allié à l'Occident, Vladimir Poutine fait en sorte que les Kurdes, lassés, se tournent à leur tour vers Moscou. Comme en Ukraine, Vladimir Poutine se révèle un excellent tacticien qui s'appuie sur des alliances militaires à la fois solides et prudentes pour peser de tout son poids dans les négociations internationales, quitte à les rendre caduques quand il pense pouvoir aller plus loin, ce que les pourparlers de Genève illustrent aujourd'hui très bien. Le stratège Poutine apparaît néanmoins sur la défensive, prudent face à une politique américaine qui, à l'égard de la Russie et pour le pire, n'a fait que se durcir depuis 1991.
Faire de Bachar el-Assad un rempart nécessaire contre l'État islamique
La bataille d'Alep qui a lieu en ce moment est certainement un tournant de la crise en Syrie autant qu'une illustration de la méthode russe d'intervention et de négociation. Malgré plus de 5000 frappes réalisées par l'aviation russe pendant les quatre derniers mois de 2015, l'opération extérieure de Moscou était jusqu'à maintenant jugée peu efficace par les Occidentaux. Ainsi, le centre Jane's Terrorism & Insurgency (IHS) notait ironiquement le 19 novembre 2015 que le régime de Bachar el-Assad avait récupéré seulement 0,4% du territoire syrien depuis le début de l'intervention russe.
La situation semble avoir évolué depuis un mois et s'être accélérée brutalement cette semaine. Ainsi, du 1er au 3 février 2016, les bombardiers Soukhoï ont réalisé un record de 875 frappes en 237 sorties aériennes. L'aviation russe a notamment bombardé une zone allant de la ville syrienne d'Alep jusqu'à la frontière turque au Nord, de sorte à couper le ravitaillement en hommes, en armes, en argent et en pétrole opéré par Ankara. L'armée syrienne de Bachar el-Assad, soutenue par la force Al-Qods iranienne et des combattants chiites venus d'Irak, du Liban et d'Afghanistan, a ainsi pu encercler par le Nord la ville d'Alep et couper définitivement l'une des deux routes qui permettaient aux rebelles d'établir une jonction avec la Turquie. Pour ces derniers, Alep devient un «chaudron» dont ils ne peuvent s'échapper.
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Source : LE FIGARO